J'ai des lecteurs perspicaces qui ne laissent passer aucune contradiction (ils ont raison).
Je pourrai dire comme Montaigne "je me contredis parfois, mais la vérité je ne la contredis point", mais c'est une pirouette.
Je vais donc essayer à la fois d'expliquer (sans justifier) la contradiction en question, et de la dépasser - sans être sûre d'y arriver.
Si vous avez lu des posts plus anciens, vous avez vu que j'insiste beaucoup sur la nécessité d'assumer un maximum la responsabilité de sa vie, ce qui bien sûr implique de ne pas la reporter sur ses parents en les accusant de tous nos problèmes psychologiques.
Pourtant, dans des posts récents, j'ai un peu changé de cap puisque j'ai vanté un (bon) livre "Parents toxiques" qui explique par certaines blessures d'enfance des comportements d'adultes.
Que je vous explique.
Les lectures de développement personnel - qui ont fait pendant plusieurs années la base de mon régime intellectuel - poussent à juste titre à se concentrer sur :
- l'avenir ;
- ses propres responsabilités.
C'est très nécessaire et très constructif. La citation que vous pouvez lire à droite ("je suis le maître de ma destinée, etc.") reflète cet état d'esprit.
Mais voilà : cet avenir à construire peut nous renvoyer à notre passé. Il le fait par la force des choses dès qu'on devient parent, ou qu'on pense à devenir parent : vouloir ou avoir des enfants, c'est être renvoyé automatiquement à sa propre enfance, qu'on le veuille ou non. être confronté à des enfants ou à un désir d'enfant, c'est être confronté à sa propre éducation, à celle qu'on a reçue.
Autrement dit, à moins d'avoir des projets d'avenir qui excluent tout projet familial, lorsqu'on avance vers son avenir on retombe un jour ou l'autre sur son passé. Surtout si on se met à lire des livres sur l'éducation des enfants - mon cas actuellement.
Car alors, on se met à comparer un certain idéal - celui présenté dans les bouquins - avec la réalité de ce qu'on a vécu...
Je pense aussi qu'on avance par cycle (du moins j'ai l'impression que moi j'avance comme ça) :
- une phase d'avancement où ce qui importe, c'est le présent et/ou le futur ;
- une autre phase de repli où on se retourne volontairement ou involontairement vers le passé.
La première phrase étant plus agréable que la seconde... mais je ne pense pas qu'on puisse éviter complètement la seconde, ni que ce soit souhaitable. La vie est faite de hauts et de bas, d'avancée et de bilans. Enfin... je généralise peut-être exagérément à partir de ma propre expérience.
Mais revenons aux parents, et à la nécessité - ou pas - de réfléchir à son enfance.
Le grand principe directeur de ce blog et de mon existence, celui auquel j'essaie de rester fidèle et qui m'est le plus utile dans toutes les circonstances de la vie, c'est : la vérité libère.
Quand on se prend pour une victime alors qu'on n'en est pas une, on est aliéné, prisonnier d'un mensonge qui nous empêche de comprendre notre existence et de bâtir notre avenir.
Inversement, lorsqu'on n'a pas conscience d'avoir été une victime alors qu'on l'a réellement été, on continue à l'être. Le mensonge est toujours une prison.
L'état d'enfance est par définition un état de vulnérabilité : à l'âge de 0, 1, 2, 3, 4 ou 5 ans, personne ne peut prendre "ses responsabilités" parce que personne n'en a, parce que personne n'est capable d'en assumer. C'est une question de maturité. Au début de notre vie, nous subissons les choix de nos parents, qu'ils soient bons ou mauvais.
Où veux-je en venir ?...
Beaucoup d'adultes portent sur eux-mêmes enfant un regard dénué de compassion et de douceur - et sur les enfants qu'ils croisent, ils portent le même regard froid et dénué de tendresse, impitoyable. Leurs besoins enfantins n'ont pas été satisfait, et ils ont intériorisé et justifié ce refus, ce déni, ce sevrage affectif.
(Certains psychologues insistent du coup sur la nécessité de "soigner son enfant intérieur"...)
Par exemple, dans je ne sais plus quel bouquin de développement personnel, "Le succès selon Jack" peut-être, une femme présente à un stage à qui on demande de faire la paix avec son enfant intérieur le visualise et... le noie sans pitié. Cette part fragile et immature d'elle-même, elle ne se contente pas de ne pas l'accueillir, elle la méprise et elle la hait.
Est-ce que c'est embêtant ?
Oui, c'est embêtant. Parce que d'une part, haïr sa part de fragilité enfantine ne prépare pas à être un bon parents, mais plutôt un parent froid, exigent et pas du tout tendre, et ensuite parce que d'autre part, ce rejet endurcit le coeur et ferme à tout un éventail d'émotions douces et chaleureuses qui forment une part importante de la vie.
Vous allez me dire peut-être que dans tout ça, vous ne voyez pas ce que vient faire un procès des parents...
J'y viens, j'y viens.
Si vous lisez "Parents toxiques", vous comprendrez que pour compatir avec soi-enfant (ou avec n'importe quel enfant réel), il faut juger les personnes qui ont blessé ce soi-enfant.
Juger, ça ne veut pas dire forcément condamner aux galères ou accuser de tous les maux, ni même accuser, ça veut dire au minimum mesurer l'espace, l'écart, qui sépare une réalité de ce qui est souhaitable.
Pour juger le comportement de telle ou telle personne, il faut le comparer à ce que ce comportement aurait dû être compte tenu de tel ou tel facteur.
Prendre conscience que - enfant - nos besoins de telle ou telle sorte n'ont pas été satisfait, c'est aussi prendre conscience que la manière dont nos parents se sont occupés de nous n'a pas été idéale, parfaite - qu'elle aurait pu être meilleure, que d'une manière générale, on peut faire mieux.
Autrement dit, la compassion à l'égard de soi-enfant est indissociable d'un jugement passé sur la manière dont les adultes qui se sont occupés de nous, se sont occupés de nous.
ça n'empêche pas de leur trouver toutes les circonstances atténuantes du monde (ils ont fait de leur mieux compte tenu de l'éducation qu'ils ont eux mêmes reçus, compte tenu des circonstances, etc.), mais il y a tout de même une relation entre ces deux termes :
Compassion pour la victime ________________________ Jugement du "coupable"
Quand on refuse de juger - c'est à dire d'émettre un avis normatif du type "c'est comme ça/ce n'est pas comme ça qu'il fallait faire" -, on bloque du même coup toute compassion à l'égard de la victime.
Je ne sais pas si c'est très clair...
Prenons l'exemple d'un élève qui pleure à cause d'une mauvaise note. Si on considère que la note est juste et que le système de notation est parfait tel quel, on n'éprouvera presque aucune compassion pour ses larmes (surtout si on a soi-même souffert d'être noté quand on était élève : on se dira subconsciemment "y a pas de raison qu'il souffre pas lui aussi").
Mais si on a regard critique sur l'enseignant et même sur le système de notation en général (que l'on compare par exemple aux manières de procéder qui ont cours dans d'autres pays), on éprouvera de la compassion pour l'élève, qu'on ait ou qu'on ait pas souffert d'avoir été noté à son âge.
Autrement dit : pour compatir avec une "victime" (au sens large), il faut d'abord avoir conscience que :
- ce qu'elle subit aurait pu être évité ;
- le comportement qui l'a fait souffrir est d'une manière ou d'une autre injuste.
Bref...
Pour faire la paix avec l'enfant qu'on a été, et ainsi pour s'ouvrir à plus de compassion et de tendresse et briser le cycle des répétitions, il peut être nécessaire (dans certains cas) de relire son enfance avec un oeil plus critique et plus éclairé, de faire le deuil d'une certaine idéalisation.
Autrement dit, je ne pense pas que quelqu'un qui croit ses parents parfaits puisse avancer beaucoup.
D'ailleurs si ses parents étaient réellement "parfaits", il ne penserait probablement pas à eux en ces termes.
Vous allez peut-être m'objecter qu'on peut éprouver de la compassion pour les victimes d'une catastrophe naturelle sans porter de jugement moral sur l'ouragan qui a dévasté leur maison... c'est vrai, je suis d'accord.
Mais justement, dans la mesure où lorsqu'on parle d'enfance et (par exemple) de la manière dont votre père/mère vous a éduqué, frustré de câlin, éventuellement humilié en parole et frappé, il est clair pour tout le monde que :
- soit c'était la bonne méthode et si l'enfant a souffert, on s'en fout (de toute façon c'était pour son bien et sa souffrance est insignifiante) ;
- soit c'était la mauvaise méthode et alors les parents sont responsables de ce qu'ils lui ont fait souffrir - et dans ce deuxième cas, on peut compatir avec l'enfant.
Si ce n'est toujours pas clair, posez-moi des questions.
Et que dire d'un dépressif qui se sent "coupable" et non "victime" car tous les dépressifs ne se considèrent pas comme des victimes mais certains, et j'en suis la preuve, comme des coupables !!
RépondreSupprimerPourrait-on voir un lien avec l'éducation dans cette culpabilité ?
Merci.