On se dit à voix basse : « Pourtant je ne demande pas grand chose... juste d'être un peu heureux de temps en temps comme tout le monde... juste de ne pas être envahi sans arrêt par des angoisses, des idées noires... juste de ne pas être continuellement submergé par la confusion et le stress... »
On s’étonne alors que ce vœu si modeste ne soit pas comblé. On s’en étonne, et si on a encore la force, on s’en indigne. Ce n’est pas juste ! Pourquoi eux ont-ils tout, alors que nous n’avons rien ? Pourquoi notre humble petit souhait reste-t-il insatisfait ?...
Mais peut-être que la question est mal posée. Et si c’était précisément parce que notre demande est trop modeste qu'elle restait en attente ? Après tout, ce que l’étude des luttes syndicales suggère, c'est que pour obtenir le minimum vital il faut demander beaucoup plus.
Une autre hypothèse : il se pourrait que ce soi-disant pas grand-chose que l’on réclame représente beaucoup plus que nous ne l’avouons. La tranquillité, pas grand-chose ? La paix mentale, un humble petit souhait ? Hum !
Il faut aussi prendre en compte le point de départ : rien qu’un tout petit peu de bonheur, lorsqu’on habite à que du malheur, ça fait déjà un sacré trajet.
Enfin, cette petite quantité de bonheur que l’on convoite n’est peut-être pas un objectif approprié. Et s’il fallait choisir entre deux directions opposées, sans que la solution intermédiaire ne se stabilise jamais suffisamment pour devenir une cible ? Pour goûter à ne serait-ce qu’une miette bonheur, mieux vaut viser le bonheur complet que cette zone d’anesthésie affective où l’on ne sent ni joie ni peine.
Mais venons en au fait.
Au fond, cette demande apparemment modeste d'un peu de paix et de bonheur révèle plus de trouille que d’humilité, plus d’inertie que de modestie. Car pourquoi demande-t-on peu, ou plutôt, pourquoi s'imagine-t-on qu'on demande peu ?
Parce qu’à un niveau plus ou moins conscient, nous savons déjà que pour obtenir « beaucoup » il faudrait chambouler radicalement notre vie, mettre en cause tout un tas de croyances auxquelles nous tenons comme à la prunelle de nos yeux... Comparaison justifiée : c'est à travers ces croyances-là qu'on voit le monde.
Au fond, ce qu'on voudrait, c'est aller mieux sans changer.
Tant qu'on ne veut modifier ni l'emplacement de ses meubles, ni celui de ses idées, on croit qu'on ne demande pas grand chose, mais en fait, on demande quelque chose d'impossible : une amélioration sans changement. Et on obtient donc... pas grand chose. Lorsqu'on se donne deux priorités contradictoires, on ne peut jamais être satisfait.
Ainsi, une femme qui cherche un homme très sérieux et fidèle qui en même temps la laisse complètement libre de tous ses faits et gestes, demande deux choses qui ne vont pas ensemble. Il faut qu'elle choisisse ce qui est le plus important pour elle : la fidélité de son conjoint, ou sa liberté à elle ?
De même, quand on veut aller mieux sans modifier en rien ses habitudes, on veut deux choses contradictoires. Il faut se demander qu'est-ce qui est le plus important, qu'est-ce que l’on considère comme la priorité des priorités : aller mieux, ou continuer sa vie sans changement majeur ?... Il est essentiel de faire un choix : on n'obtiendra jamais les deux en même temps.
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