(En prolongement aux commentaires de Chris... avec qui je suis complètement d'accord.)
Bonne habitude, discipline, principes : tout cela effectivement ne s'achète pas.
Ou s'achète par notre volonté et nos efforts.
C'est pour cela que lorsque le discours officiel sur la dépression répète, comme si c'était une évidence, que "la volonté n'aide pas quand on est dépressif" ou "ce n'est pas une question de volonté" ou "ça n'a rien à voir avec la volonté"... il ment.
Car la volonté, qu'est-ce ?
Sinon notre capacité à faire des choix et à nous y tenir ?....
Un choix auquel on ne se tient pas n'est pas une choix : c'est seulement une velléité.
Au fond, on peut considérer comme des quasi-synonymes "la volonté" et "la liberté".
C'est notre volonté qui nous fait libre ; c'est notre liberté qui nous fait volontaire. Choisir, c'est vouloir ; vouloir, c'est être libre, c'est faire usage de cette liberté qui paraît si séduisante d'un côté (le côté possibilité) et si vilaine de l'autre (le côté responsabilité).
Pour faire de nos bons choix de bonnes habitudes, nous avons besoin de discipline.
L'élève à éduquer, canaliser, structurer, c'est nous-même.
A nous de faire en sorte que ce que notre tête et notre coeur ont décidé soit mis en pratique par tout le reste de nous-même.
A nous de frustrer le gros bébé geignard - reste coriace de notre enfance - qui pleurniche : "mais j'ai pas envie, heu!..."
Tiens, ça me rappelle un souvenir.
J'avais décidé de ne plus manger de chocolat ; mais (sous je ne sais plus quel prétexte, celui des vacances peut-être, en vacances tout est permis) me voilà au rayon "confiserie" d'un supermarché quelconque - c'était Monoprix, je crois.
Me voilà devant toutes ces plaquettes de chocolat noir, blanc, au lait, aux noisettes, équitable, amer, à l'orange, au nougat, au caramel, aux éclats de caramel, etc.
Je les aime tous ; lequel choisir ?...
Cependant je ne suis pas heureuse d'être là. Je suis en train de trahir un engagement ferme que j'avais pris avec moi-même. Mais bon, j'y suis, et puis j'ai ENVIE de chocolat, ça arrive, non ? L'être humain est faible, non ? Et puis ce n'est qu'une petite tablette de chocolat, non ?
Je me dis ça, mais au fond je sais très bien qu'en cédant à cette première tablette de chocolat, j'ouvre la porte à toutes ses innombrables copines... avec à la clef des kilos - combien ? - en plus... et à coup sûr, une baisse d'estime vis-à-vis de moi-même : on ne peut pas me faire confiance. Je ne peux pas me faire confiance. Je ne tiens pas mes promesses.
Je suis sûre que vous pouvez comprendre ma situation mentale à cet instant. Je suis sûre que vous avez déjà vécu l'équivalent.
J'erre donc devant les tablettes de chocolat, aller et retour, en proie à une perplexité à paliers multiples :
- quelle tablette prendre ?
Car si je choisis le chocolat au lait au caramel, je renoncerai au chocolat blanc aux pépites de noix de coco caramélisées par la même occasion, et ce renoncement est un déchirement.
- est-ce que je prends une seule tablette, ou deux ?
Car si j'en prends deux, je ne serai pas obligée de renoncer à l'une des deux - mais ça coûtera plus cher, je mangerai plus de chocolat, je grossirai davantage et je me sentirai encore plus coupable, car j'aurai donné beaucoup plus qu'un simple coup de canif au contrat moral que j'ai passé avec moi-même.
- est-ce que je renonce à cette ou ces tablette(s) de chocolat encore indéterminée(s), ou est-ce que je craque pour elle(s) ?
Craquer... c'est le verbe qu'on retrouve dans les pubs qui nous poussent à consommer : "Craquez pour ceci ! Craquez pour cela !..."
Le verbe dit bien ce qu'il dit : lorsqu'on cède aux tentations qui nous sollicite, lorsqu'on ne tient pas nos engagements (ceux qu'on prend vis-à-vis de nous-même sont des engagements, même si personne d'autre n'est au courant) alors on craque.
Notre colonne vertébrale décisionnelle craque.
On perd le squelette qui nous fait moralement vertical.
On s'affaisse.
On perd son unité, fissurée qu'elle est par cette craquelure au beau milieu.
Comme un habit qui a craqué, on perd beaucoup de notre valeur.
Comme un sac qui a craqué, on ne sert plus à grand chose.
Je suis toujours dans le rayon confiserie, en proie à une indécision vraiment pénible (chocolat au lait ou chocolat blanc ? pas de chocolat ou chocolat ? une ou deux tablettes ?) lorsque arrive une mère et son bébé.
Le bébé voit les tablettes et crie : "MON CHOCOLAT!!! JE VEUX MON CHOCOLAT!!!!"
Sa mère essaie de le faire patienter : "Tout à l'heure, quand on sera sorti du magasin..." mais le bébé n'est pas convaincu. Visiblement, il veut son chocolat là, maintenant, tout de suite. Il se tord dans sa poussette pour tendre vers sa mère son visage tout rond et ses petites mains potelées, dans un appel à l'aide pathétique :
"MON CHOOOOCOOOLAAAAAT!...."
Ce bébé, je le reconnais.
C'est moi-même.
Ou plutôt, c'est la part de moi-même qui m'a envoyé dans ce rayon de Monoprix - la part infantile, avide, gourmande.
Ce bébé, c'est mon ventre.
Non, je ne cèderai pas à mon ventre.
C'est lui qui doit m'obéir, et pas l'inverse.
Je sors du Monoprix, les mains vides.
Quel rapport avec la dépression ?...
Dépression et chocolat se trouvent du même côté : le côté facile et compliqué.
Facile, car il est plus facile de "craquer" que de ne pas craquer ; compliqué, car plus on y cède, plus la vie se complique.
Equilibre émotionnel et absence de chocolat se trouvent eux aussi du même côté : le côté simple et difficile.
Simple, car il est simple de ne pas craquer et que la vie se simplifie à mesure qu'on avance dans cette direction-là ; difficile, car c'est difficile, tout le monde le sait.
"Le meilleur moyen de résister à une tentation c'est d'y céder" disait Oscar Wilde (cf. son roman : "Le portrait de Dorian GRAY"). Cette citation, en forme de boutade, peut dédramatiser la situation et permettre de prendre du recul pour mieux voir le problème, à l'inverse de la culpabilité qui elle, nous COLLE LA TETE beaucoup trop près sur ledit problème.
RépondreSupprimerQue représente le chocolat, (on peut remplacer le chocolat par d'autres addictions, tabac, achats compulsifs, etc.) sinon un MOYEN d'etre HEUREUX ??? Personnellement, pour avoir observé ma vie, j'ai remarqué que les compulsions viennent quand deux conditions sont réunies :
- j'ai passé une mauvaise journée
- j'ai malgré tout l'énergie suffisante pour "me battre" et vouloir rester de bonne humeur.
Si cette deuxième condition vient à manquer, je deviens prostré, et me replie sur moi-même "laissez-moi tranquille...", je joue la comédie, le personnage du bon fils bien dans sa peau pour rassurer mes proches.
Quand à la part infantile qui nous ronge : elle ignore.
Elle ignore que le chocolat ne rend pas heureux mais la sensation éprouvée a été si agréable que cet "enfant" n'a pas d'autre moyen pour se satisfaire que de faire entendre sa-terrible-voix. Et puis, qu'avons nous d'autre que ce que nous avons connu en guise de "poteau indicateur" pour nous indiquer par où se trouve le bonheur ?
Le seul moyen de faire taire cet enfant, d'après moi est d'ETRE HEUREUX.
Malheureusement, IL N'EXISTE AUCUN MODE D'EMPLOI POUR ETRE HEUREUX car un tel mode d'emploi serait forcément incompatible avec ce goût de la liberté que nous avons tous.
Alors... pourtant, je suis heureux de pouvoir échanger ainsi. Je suis heureux d'exprimer par des mots, des phrases, mes introspections, mes réflexions,
pourtant...dans de tels instants, je ne pense pas à être heureux, ça vient naturellement. DOis-je en CONCLURE avec AUTORITE que l'ECRITURE est la solution au problème de la dépression ? Si un de mes amis est dépressif, lui offrirais-je un papier et un crayon ? Je pourrais poursuivre, mais j'ai peur de m'égarer. Mieux vaut être prudent et limiter sa marche quotidienne pour garder ses forces.
Chris
Aussi bien les commentaires de Lucia que de Chris prouvent à quel point ils sont passés par là... ou qu'ils y sont toujours... que de témoignages poignants.
RépondreSupprimerPour ma part je suis tombé exactement dans le même piège que Lucia en lisant des choses que je n'aurai pas du lire au moment où il ne fallait pas...
Avez-vous lu Andrew Solomon (Le diable intérieur) et si oui qu'en avez-vous pensé ? Il y a de grandes chances puisque vous vous êtes apparamment beaucoup documenté sur la dépression...
Julien
Bonjour Lucia,
RépondreSupprimerBonjour Julien,
Non, je n'ai pas lu cet ouvrage, ni n'en avais entendu parler auparavant.
Ce blog représente pour moi plusieurs choses. Premièrement, l'occasion d'exprimer des choses vécues. Discuter de connaissances livresques est toujours intéressant, d'accord, mais j'aurais peur d'être trop bavard.
Deuxièmement, un encouragement, par nos échanges ponctuels, à TRAVAILLER pour mieux la connaître, cette fichue dépression.
Je ne me dis pas : "je vais sur le blog pour écrire, comme ça, ça va aller mieux aujourd'hui." Non. La dépression, ça se travaille, elle nous interpelle sans arrêt. Au moindre signe de relachement, ou si un évènement amène en nous du découragement, c'est fini. Elle s'introduit en nous comme une voie d'eau dans un bateau. Voilà le problème dont il est question.
Merci pour ton mot.
Bonne journée à vous,
Chris
Pas très positif Chris...
RépondreSupprimerEt toi Lucia l'as tu lu ce livre à travers toutes tes recherches ?
Julien
Et non... par contre, il est sur ma liste de livres à lire (et du coup, j'ai vérifié : on peut l'emprunter dans une des bibliothèques de Paris).
RépondreSupprimerJ'essaie d'être assez complète dans mes lectures sur la dépression ; mais pour l'instant, il y a très très peu de livres qui m'ont paru constructif.
Tiens, c'est le sujet de mon prochain post, ça.