Recevez gratuitement les 20 premières pages du TRESOR + LA LETTRE BLEUE


 

05 décembre 2008

Un cafard métaphysique

A une période de sa vie, G. Sand a pensé très sérieusement au suicide.

Elle souffrait de ressentir une aspiration vague, mais très puissante, à un idéal de justice qu'elle ne savait pas rendre clair, et dont elle n'a jamais pu cerner le contour définitif.

"Tu sais - disait-elle à un ami - que si quelque chose m'élève au-dessus de tant d'être méprisablement médiocres dont le monde est encombré... c'est par la forte passion du vrai, le sauvage amour de la justice.

Et bien, que ferai-je de ce caractère?
Que produira cette force d'âme qui m'a toujours fait repousser le joug de l'opinion et des lois humaines... en ce qu'elles ont d'odieux et d'abrutissant ?
A qui les ferai-je servir? Qui m'écoutera, qui me croira ? Qui vivra de ma pensée ? Qui, à ma parole, se lèvera pour marcher dans la voie droite et superbe où je voudrais voir aller le monde ? Personne.

Eh! si du moins je pouvais élever mes enfants dans ces idées, me flatter de l'espoir que ces êtres, formés de mon sang, ne seront pas des animaux marchant sous le joug, ni des mannequins obéissant à tous les préjugés, mais bien des créatures intelligentes, généreuses, indomptables dans leur fierté, dévouées dans leurs affections jusqu'au martyre ; si je pouvais faire d'eux un homme et une femme selon la pensée de Dieu ! Mais cela ne sera point.

Mes enfants, condamnés à marcher dans la fange des chemins battus, environnés d'influences contraires... se retourneront peut-être pour me dire : "Vous nous égarez, vous voulez nous perdre avec nous!... Ne nous parlez plus de vertus austères et inconnues, qu'on appelle folie, et qui ne mènent qu'à l'isolement et au suicide."

Voilà ce qu'ils me diront. Ou bien s'ils m'écoutent et me croient, où les conduirai-je ? Dans quels abîmes irons-nous donc nous précipiter tous les trois ? car nous serons trois sur la terre, et pas un avec !"

Ce cafard métaphysique-là, Sand l'a ressenti dans son intégralité ; mais d'autres qu'elle ont pu en vivre des fragments.

Au début de sa vie, chacun de nous prend pour acquis que les « grands » qui l’entourent (parents, aînés…) savent parfaitement ce qu'ils font, et sont les détenteurs d'une sagesse et d’un savoir illimités : eux savent ce que nous ignorons encore : ils ont percé tous les secrets de l'existence.

Cette confiance que nous leur accordons d’office, parce que nous ne sommes encore naïfs, fait que, s'il y a une divergence innée entre eux et nous au sujet de ce qui est important et de ce qui ne l'est pas, nous croyons naturellement que c'est nous qui sommes dans l’erreur et eux qui ont raison

N'ayant qu’un sentiment intérieur indéfinissable à opposer à leurs certitudes bien établies, nous supposons naturellement qu'ils sont dans le vrai et nous, dans le faux.

Leurs croyances ont l’apparence immémoriale et respectable des monuments indestructibles ; elles remontent à plusieurs décennies, et parfois même à beaucoup plus, lorsqu’elles se sont transmises sans anicroche de génération en génération, telle la précieuse recette de riz au lait ou d’aubergine farcie qu’on se transmet de mère en fille.

Quand vient le jour où nous remettons en cause ces vérités révélées de notre enfance, de notre milieu, de notre famille, qu'avons-nous à proposer de mieux à la place ?...

Rien qu'une vague aspiration à plus de vérité et plus de justice.

Cafard métaphysique : pressentiment d'une échelle de valeurs plus satisfaisante que celle en cours ; aspiration à un idéal qu'on n'arrive pas à définir ; frustration de ne pas trouver d'emploi à ses capacités faute de cette échelle de valeurs et de cet idéal encore inconnus.









Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire