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25 novembre 2006

Traces (du passé)

S'il pouvait s'en aller d'un coup...
mais ce n'est que par petit bout qu'il s'effrite. Un morceau tombe, et ce qui était muré derrière peut enfin respirer, après toutes ces années de nuit !

Ensuite, un autre morceau part. Emporté par les vagues incessantes du temps qui usent jusqu'à la pierre.

Le passé n'est alors plus qu'une statue tronquée, une muraille ruinée.

Assez trouée pour que passe la lumière, assez entêtée pour que sa masse opaque soit encore un douloureux obstacle au milieu du chemin, à contourner, à contourner sans cesse.

Va-t-en, passé. Quitte moi pour de bon...

Entassement obscur de peurs, de sales habitudes, de ligatures et de baîllons ; censures multiples, paroles imposées, angoisses alanguies comme des crocodiles et tronc d'arbre trompeur... va-t-en.

18 novembre 2006

Lifting du blog !

ENFIN! blogger s'est décidé à améliorer radicalement la présentation des blogs en général, et du mien en particulier...
Maintenant les archives sont très très faciles à consulter.

10 octobre 2006

Souvenirs, souvenirs

Même ceux d'une période horrible peuvent avoir quelque chose de charmant, à distance. Un certain cachet de vieille photographie, une aura de nostalgie, un parfum de bruyère...

Le passé d'un(e) ex-dépressif/ve, c'est un océan de souffrances vagues et aïgues, informes et précises. Un chaos de douleurs où s'entrechoquent l'infime et l'essentiel, le détail et le principal. Au plus haut point du bonheur, on pressent qu'on est perché au sommet d'une pente glissante - pente que l'on va inéluctablement dévaler... Les hauts et les bas se succèdent, mais au plus haut on souffre encore - de cette altitude anti-naturelle, de cette instabilité fondamentale, de cette incapacité à trouver ses pieds, sa base.

A quoi se raccrocher ? A qui se fier ?... comme la girouette de métal qui tourne aux quatre vents, on oscille d'une direction à l'autre, incapable de décider, incapable de savoir ce que l'on veut vraiment.

Et ce n'est qu'un des aspects du mal-être. La nullité humiliante que l'on se sent être en est un autre : comment demander aux autres de reconnaître notre valeur, quand nous sommes nous-mêmes incapables de la percevoir ?...

Les condamnations définitives se succèdent dans le théâtre intérieur que nos voix intérieures se disputent :
- Je suis nul... Personne ne m'aimera jamais... Je ne vaux rien, je ne suis rien... Je n'existe pas...

Qui nous donnera l'autorisation de vivre ? de respirer ? Qui nous débarrassera de cette angoisse profonde, lancinante, existentielle ?... Il ne suffit pas de relever fièrement la tête en proclamant : "Moi, moi ! Je vais m'en débarrasser tout seul !..."

L'orgueil échoue devant ce mur, et l'échec au goût de cendre se cueille entre ses pierres...

Quand au présent d'un(e) ex-dépressif/ive, c'est un chemin invisible, étroit et rectiligne, invisible pour les yeux mais nettement tracé pour le coeur, que l'on emprunte entre Charybde et Scylla, et où l'on avance en toute sécurité. L'angoisse qui s'accroche encore, comme une plante pariétale, ne demande qu'un peu plus d'allant pour tomber d'elle-même. Confiance et beauté sont des bornes confirmant que la direction est bonne. On se fie à qui l'on doit se fier, on a trouvé de l'aide, on s'y maintient, on devient fort.

08 octobre 2006

Où est la porte de sortie d'une dépression ?

Lorsqu'on conçoit la dépression comme une maladie, on visualise la guérison comme un retour à la normale, c'est-à-dire comme un retour à ce que l'on était avant d'être dépressif.
Et c'est vrai que pour une maladie plus physique, la guérison est bien cela : un retour à l'état antérieur.

Mais quoiqu'on fasse pour l'assimiler à une jambe cassée, la dépression n'est pas un problème de santé comme les autres... et en sortir, ce n'est pas - du moins si je généralise mon cas et celui de beaucoup d'autres - redevenir ce qu'on était.

Ce n'est pas non plus faire son deuil du bonheur, accepter qu'on ne sera jamais heureux, et prétendre qu'on a beaucoup de chance d'être triste... Il y a bien une porte de sortie à la dépression : on n'est pas obligé d'y errer éternellement (enfin, durant cette très courte éternité qu'est une existence humaine).

Seulement voilà : la porte de sortie n'a rien de commun avec la porte d'entrée. Inutile donc, de chercher partout une issue qui nous ramènerait avant, cette issue n'existe pas.

La porte du passé est fermée, définitivement. De même qu'on ne sera plus jamais l'enfant qu'on a été, on ne sera plus jamais ce qu'on était avant de devenir dépressif.

La porte de sortie est à chercher là où on n'a jamais cherché avant, et lorsqu'on la trouve - lorsqu'on sort de l'oppressant labyrinthe du regret et de l'angoisse - on se retrouve là où l'on n'avait encore jamais mis les pieds. Territoire neuf, inconnu, inexploré...

30 septembre 2006

Le destin en tant qu'anxiolitique

Le stress est en général causé par une appréhension vis-à-vis de l'avenir : est-ce que ça va marcher ?... est-ce qu'on va être capable de...? est-ce qu'on va arriver à ?... est-ce qu'ils se décideront à nous ?...

L'un de ses remèdes, est de croire au destin. Tout est déjà écrit : nous aurons beau nous démener dans tous les sens, le résultat ne changera pas, car il a été programmé de toute éternité. Nous avons tendance bien sûr, à nous croire les "causes" agissantes de ce qui nous arrive de bien ou de mal. Croyance qui entraîne à sa suite stress ou regret : si j'avais fait cela... si je n'avais pas fait ceci... si j'avais dit cela... si je n'avais pas dit ceci... (ça c'est pour les regrets) et : si je ne fais pas correctement ceci... si je fais mal cela... si je ne dis pas ceci... si je dis cela... (ça c'est pour le stress). Notre avenir comme notre passé nous pèsent lourdement sur les épaules, car nous croyons en être les auteurs.

Pour se débarrasser de ce fardeau, il suffit de croire au destin : les rapports de causalité ne sont que des illusions, des effets d'optique. Tout est déjà minutieusement prévu dans les moindres détails, et notre agitation, nos cogitations, nos élucubrations n'y changeront rien.

Ce qui doit nous arriver de mal, ne nous ratera pas, quoique nous fassions pour éviter le taureau de l'arêne.
Ce qui doit nous arriver de bien, ne nous ratera pas non plus, quoique nous fassions pour saboter notre chance.

Certes, nous chercherons toujours à atteindre des buts, et c'est très bien - mais les résultats, les conséquences, ne sont pas sous notre contrôle. Regrets et stress sont inappropriés : à quoi bon regretter ce qui devait être de toute éternité, et qui n'aurait pas pu ne pas être ?... à quoi bon s'angoisser pour un futur déjà écrit, et dont la partition se déroulera comme prévu, indépendamment de toutes nos ruminations angoissées ?...

Cette croyance au destin est un anxiolitique efficace, un anti-stress plus efficient que la phytothérapie - et en plus, c'est gratuit !

29 septembre 2006

Comportement et croyance

De toute évidence, nos croyances déterminent notre comportement, nos actes.

Il est un peu moins évident, mais tout aussi vrai, que notre comportement et nos actes déterminent nos croyances.

Ainsi quelqu'un qui est conduit à adopter un certain comportement, va développer les croyances qui rationnaliseront ce comportement : il va mettre ses idées en adéquation avec ses actes, même si elles ne l'étaient pas au départ.

Ainsi, participer à un concours publicitaire en décrivant tous les bienfaits de telle lessive miraculeuse, va engendrer une croyance du type : cette lessive est vraiment valable... même si, au départ, la personne ne participait au concours en question que dans l'espoir de gagner un prix.

Nous agissons parfois sans motif, sur l'impulsion du moment - ou parfois, sous l'influence manipulatrice de telle ou telle instance. Cet acte induit (qui est le nôtre dans la mesure où c'est nous qui l'avons fait, mais que nous n'avons pas vraiment choisi) va être ensuite étayé par tout un tas de rationnalisations qui vont le rendre plus solide, plus consistant, plus légitime, plus nôtre.

C'est ainsi que des prisonniers de guerre furent conduit à perdre leur patriotisme, simplement parce qu'on les avait amené à mettre par écrit (librement, ou du moins, sans contrainte explicite) tous les défauts de leur pays.

Et c'est ainsi qu'un couple au bord du divorce a retrouvé la flamme : sur les conseils d'un thérapeute, le mari s'est forcé à inonder sa femme (qu'il n'aimait plus) de petits cadeaux et de mots tendres, jusqu'à ce que le sentiment perdu revienne, attiré par ce comportement amoureux.

D'une certaine manière, on déduit ce qu'on pense de ce qu'on fait, de ce qu'on a fait.

Dire systématiquement "bonjour" à ses voisins va ainsi conduire à développer une croyance telle que : "mes voisins sont sympathiques". Un comportement amical induit une attitude mentale amicale.

Que peut-on en tirer comme recette anti-déprime ?...
Se forcer à sourire - pas tout le temps, c'est trop dur - mais de temps en temps et au moins devant sa glace, peut interrompre ou du moins freiner une spirale dépressive. Remonter le moral à quelqu'un (lorsqu'on ne l'a pas soi-même) peut aussi aider. On peut aussi réfléchir à ce que l'on ferait si on n'était pas du tout déprimé, et le faire.

Changer le fond

Si l'on compare la vie à un tableau, on peut dire qu'il y a des éléments qui constituent l'arrière-plan, le fond, et d'autres qui sont plutôt au premier plan, en motif.

Les motifs attirent l'oeil, c'est ce qu'on remarque en premier : mari, métier, enfants... tout ce qu'il y a de bien visible et de spectaculaire, d'heureux ou de malheureux, dans une existence. Eléments factuels, positifs ou négatifs, sur lesquels on se focalise naturellement.

Le fond, c'est sur ce quoi ces éléments de premier plan se détachent. L'arrière-plan est plus discret ; on ne le remarque pas. Cependant son rôle est essentiel, car c'est lui qui détermine la manière dont on va comprendre le motif. La Joconde souriant devant un tas d'ordure aura une signification toute différente que si elle pose devant des montagnes brûmeuses.

Dans son appétit de bonheur, l'être humain aspire (et c'est bien normal) à étoffer le premier plan de son existence par des motifs agréables : belle maison, belle voiture, beaux enfants... mais si le fond ne change pas, la signification globale du tableau restera plus ou moins la même. Car c'est l'arrière-plan qui détermine la manière dont on va lire, comprendre le tableau.

Le fond de notre existence est constitué par nos croyances. C'est sur celles-ci que viennent s'inscrire tout ce que nous vivons ; si nous changeons le fond, tout change dans le tableau - même si le motif est resté exactement le même.

27 septembre 2006

La liberté ou la mort...

Le mot liberté est certainement l'un de ceux qui font le plus fantasmer.

ça a commencé avec la révolution française, et depuis, ce mot magnifique a pris de plus en plus d'ampleur dans l'imaginaire collectif, ses connotations positives se sont étoffées, enrichies... Jusqu'à ce que la liberté miroite comme un idéal grandiose, infiniment désirable. Un but en soi, un but ultime.

Et pourtant, on ne sait toujours pas ce que ça représente concrètement, d'être libre.

On peut bien sûr illustrer la liberté par la scène de Titanic où Kate Winslet et l'autre blondinet, perchés à la proue du bateau fatal, semblent prendre leur envol sur une musique grandiose et devant un ciel splendide, mais ça ne nous dit pas ce que c'est réellement, la liberté.

Une chanson pathétique de Mano Solo suggère une certaine définition de la liberté, que beaucoup d'entre nous pourraient revendiquer :

"La liberté se paye par un solde de regrets,
mais ai-je vraiment eu tort ?...
Tous les chemins ne mènent-ils pas à la mort ?...
Qui n'échangerait pas cent ans d'ennui contre trente-cinq ans de vie ?...
La liberté ou la mort,
j'aurais eu les deux..."

Ce qui transparait à demi-mots dans ces paroles, c'est que la liberté, c'est la combustion rapide de la vie, la chandelle brûlée par les deux bouts, la dépense effrénée de ses ressources vitales... Autrement dit, l'auto-destruction passionnée de soi. Auto-destruction qui conduit aux "regrets" (si je ne m'étais pas drogué... si je n'avais pas eu des relations sexuelles non-protégées... si, si, etc.), mais que l'on justifie tout de même en se disant que de toute façon, "tous les chemins mènent à la mort", et qu'au moins, on en a bien profité.

Dans cette vision des choses, la liberté c'est la liberté de faire n'importe quoi d'auto-destructeur.

La liberté apparait ici comme un choix, le choix d'une vie intense et courte : on aurait le choix entre diverses options, et la liberté serait l'une de ses options.

Sauf que...

(Hé oui, avec moi il y a toujours un "sauf que".)

Sauf que la liberté n'est pas un choix parmi d'autres possibles, la liberté est le choix : à partir du moment où l'on choisit - et quoiqu'on choisisse - on est libre. On peut avoir selon les circonstances et selon ses choix une impression plus ou moins grisante de liberté (impression toute subjective), mais il n'en reste pas moins que la liberté se situe à un niveau plus basique, et qu'elle se résume plus ou moins comme suit : être libre, c'est avoir le choix.

Et ce n'est pas parce qu'on choisit la cigarette, la drogue, l'alcool et le sexe avec partenaires multiples, qu'on est plus libre, davantage libre, que ceux qui choisissent le lait fermenté, la vie à la montagne, le jus de pomme et le mariage le plus traditionnellement monogame.

L'idée fausse, et subtilement dangereuse, qui est présente dans la chanson de Mano Solo comme dans la tête de beaucoup d'entre nous, c'est que lorsqu'on se drogue, shoote, qu'on se livre aux expériences sexuelles les plus désordonnées ou à l'alcool, on est libre, plus libre que si on se livrait à des activités pépères, telles que la collection de timbres du Brésil, l'arrosage de son jardin ou la préparation d'un repas pour ses mari et enfants (liste non exhaustive bien sûr.)

Et lorsqu'on commet l'erreur linguistico-logique de confondre la liberté de (se) détruire avec la liberté tout court, on est condamné à ne pas être libre bien longtemps.

En effet, pour être libre la première condition c'est d'être en vie.

Seuls les vivants ont le choix. Les morts n'ont plus aucun choix. Ils ne peuvent même pas protester contre la garniture déplorablement culcul de leur cercueil.

Lorsque Mano Solo, ou quelqu'un d'autre, se console d'avoir choisi la mort en se disant : "du moins j'ai été libre", il est en proie à une illusion d'optique. Non seulement il n'a pas été plus libre que s'il avait protégé sa santé et épargné pour sa retraite, mais sa liberté aura duré ce que durent les roses : l'espace d'un matin.

Moralité, comme dans les fables :

Pour être libre longtemps,
choisissons le bon camps.

24 septembre 2006

Le suicide est-il un acte courageux ?

Le suicide est-il un acte courageux, un acte qui mérite qu'on lui dise "chapeau" ?...

Pour répondre à cette question, examinons le sens du mot "courage". En voici quelques définitions selon divers dictionnaires :
"Énergie et force de volonté manifestée devant un travail plus ou moins pénible."
"Zèle, bonne volonté, ardeur."
"Disposition de l'âme qui lui fait supporter la souffrance, braver le danger, entreprendre des choses difficiles, hardies."
"Force de caractère qui fait supporter la souffrance ou braver le danger".
"fermeté devant les épreuves"

Si le courage c'est (comme le disent les dictionnaires), supporter la souffrance et faire preuve de patience et d'endurance devant les épreuves, indiscutablement le suicide n'est pas du courage - plutôt le contraire... Si on se suicide c'est précisément parce qu'on ne supporte pas la souffrance, parce qu'on n'arrive pas à faire preuve de patience et d'endurance devant les épreuves.

Et si le courage c'est (comme le disent aussi les dictionnaires), "braver le danger" et "entreprendre des choses difficiles", le suicide n'est toujours pas le courage.

En effet, braver le danger, faire preuve de courage, ce n'est pas chercher délibérément la mort, mais être prêt à courir le risque de mourir - alors même qu'on aime la vie - ce qui est tout à fait différent. Braver le danger, faire preuve de courage, c'est risquer sa vie pour autre chose que sa vie : soit pour sauver une personne (exemple, les pompiers qui sauvent des vies au péril de la leur) soit pour faire triompher la justice, etc. On fait preuve de courage lorsqu'on risque sa vie pour quelque chose auquel on accorde une valeur plus grande.

Alors que le suicide est un acte qui n'implique nul dépassement de soi, seulement le refus d'une situation qu'on juste insupportable.

Le suicide, preuve de liberté ?

Est-ce que se suicider, c'est prouver sa liberté ?... Prouver qu'on est maître de sa vie, qu'on est pas un pantin dépendant des circonstances, qu'on a une dignité, qu'on est réellement libre ?

Pour le savoir, il faut se resituer dans la réalité d'une vie, n'importe quelle vie.

On naît - et on ne décide ni de ses parents, ni du moment de sa naissance, ni de la couleur de ses cheveux, etc.
On grandit - et on ne décide ni du nombre de centimètres, ni de la forme que prend notre corps adulte.
On vieillit - et on ne décide pas non plus de l'apparition des cheveux blancs ou des rides.
On meurt... et en général, là non plus, on ne décide rien.

(Quoique dans une perspective new age, on décide en réalité de tout... mais on ne sait pas qu'on décide de tout, ni pourquoi on a décidé ce qu'on a décidé.)

Par contre on décide de plein d'autres choses : king fish ou mac bacon ? bac littéraire ou scientifique ? J'aide à la vaisselle ou je les laisse se débrouiller sans moi ?... Etc.

Dire que le suicide est la preuve qu'on est maitre de sa vie, c'est un peu comme dire qu'on est propriétaire du World Trade Center parce qu'on l'a explosé.

La liberté de l'être humain se manifeste dans tous ses choix. Lorsqu'on décide de mettre ses chaussures, on fait la preuve de sa liberté. Lorsqu'on commet un meurtre, on fait la preuve de sa liberté. Lorsqu'on vole une voiture, on fait la preuve de sa liberté. Lorsqu'on sourit à son voisin, on fait la preuve de sa liberté. Lorsqu'on envoie une carte postale, on fait la preuve de sa liberté. Lorsqu'on se marie, on fait la preuve de sa liberté.

Tous comme les innombrables autres choix que l'on fait sans cesse, le suicide témoigne de notre liberté - mais pas plus que lorsqu'on choisit librement de se brosser les dents ou qu'on choisit librement de ne pas le faire. Il n'y a pas de choix qui prouve plus la liberté qu'un autre : tous les choix (qu'ils soient bons ou mauvais) témoignent de la liberté de l'être humain.

Par contre, le suicide a cela de particulier qu'après lui, il n'y a plus aucune liberté. Finie, la liberté. Un mort est par définition inerte et impuissant. Il ne peut plus rien, il n'a plus aucune espèce de choix.

Donc le suicide est un choix qui en tant que choix, prouve qu'on est libre (mais ça, n'importe quel autre choix le prouve aussi bien), mais qui a cette spécificité, qu'après lui il n'y a plus aucune liberté : c'est terminé.

C'est le choix qui met un terme à tous les choix. Le choix qui met un point final à toute liberté.

Aussi ce n'est que par un raisonnement tordu, inspiré par la souffrance et la petite voix insidieuse qui est toujours de mauvais conseil, qu'on peut s'imaginer qu'il constitue une espèce de déclaration de liberté, de dignité ou d'indépendance... alors qu'il constitue au contraire la seule manière de saboter définitivement sa liberté, de la saccager et détruire sans retour. Auto-destruction de ce qui fait précisément la dignité de l'être humain : sa faculté à faire des choix.

22 septembre 2006

Marre de la vie ou marre de l'absurde ?

Ce sentiment que tout est trop difficile, trop compliqué - et ce dégoût qui fait penser à la mort... on l'interprète en général comme un "marre de la vie". Marre de se lever tous les matins, marre de répéter les mêmes minuscules corvées, marre de retrouver toujours les mêmes problèmes non-résolus toujours un peu plus rances...

Mais interpréter ce ras-le-bol comme un dégoût de la vie, n'est-ce pas jeter le bébé avec l'eau du bain ?

Est-ce qu'on en a vraiment marre de la vie, de toute la vie, ou est-ce qu'on en a pas plutôt marre de se lever le matin sans savoir pourquoi ? de vivre sans savoir pourquoi ?... Car si c'est l'absurdité de notre existence qui nous fait souffrir plutôt que l'existence elle-même, le remède n'est pas du tout le même...

Si on est vraiment dégoûté de la vie, alors oui la solution (ou plutôt ce qui y ressemble pour quelqu'un qui ne se fie qu'aux apparences) c'est de mourir.

Mais si on est dégoûté de l'absurde, alors la solution est tout autre. La solution est de chercher, puis de trouver, le sens de cette existence absurde.

Mais, objectera-t-on, comment trouver le sens d'une existence absurde ?... Par définition, si elle est absurde, c'est qu'elle n'en a pas...

Oui et non. Imaginons par exemple quelqu'un qui disposerait d'un ordinateur dernier cri et d'un abonnement internet illimité, mais qui ne saurait pas comment s'en servir. Pire encore : qui ne saurait même pas que cet objet cubique est un ordinateur. N'en déduirait-il pas que cette chose est inutile, encombrante ?... Ne serait-il pas tenté de la jeter sans plus attendre à la poubelle ? Quelqu'un qui est en possession d'un trésor, mais qui ne le sait pas, est tout aussi pauvre que quelqu'un de "réellement" pauvre.

L'existence n'est peut-être pas absurde du tout, mais tant qu'on est pas au courant de sa signification réelle, et de la notice pour s'en servir, on est juste encombré par elle - comme on peut l'être par un ordinateur dont on ne sait pas se servir.

Et si la vie était un trésor ? Un trésor unique et précieux, une chance extraordinaire à saisir ?... Celui qui s'en débarrasserait sans plus attendre, faute d'être au courant de l'opportunité qu'elle représente, s'en mordrait peut-être les doigts pour l'éternité.

Pour ma part, je n'en ai jamais eu marre de l'existence (même si j'ai pensé cent mille fois que j'en avais marre de la vie). Par contre, son absurdité, sa futilité, son inconséquence m'ont toujours profondément dégoûté.

Je veux me lever le matin pour quelque chose. Je veux savoir pourquoi je suis là, pourquoi je suis née. Je veux une explication plus plausible que ce soi-disant hasard par lequel un poisson serait devenu singe, puis un singe devenu homme. Je ne me satisfais pas d'être le résultat improbable, aléatoire et sans importance d'une série d'ennuyeuses coïncidences. Il y a en moi - il y a en tout être humain - quelque chose qui proteste contre l'indignité, l'absurdité auquel on veut le réduire.

L'homme est, dit Pascal, un roseau, le plus faible de l'univers - mais c'est un roseau pensant.

Tout est dans le "mais", car c'est bien de cette raison, de cette capacité à réfléchir sur soi et sur le monde, que l'être humain tire sa dignité si bafouée. Et c'est dans les réponses à ses questions (qui suis-je ? d'où je viens ? où je vais ? pourquoi je suis né ?), qu'il trouve la paix de l'esprit et du coeur.

"Elle est pas belle la vie ?"

A cette question qui attend un "mais oui, qu'elle est belle!" on peut apporter une réponse plus nuancée.

Si l'on s'intéresse d'abord non à la vie elle-même, mais à son cadre, on peut soutenir tout aussi bien que la vie est magnifique, et qu'elle est hideuse. Lorsqu'on regarde un trottoir parisien de près, la vie (ou du moins son décor) est extrêmement moche. Lorsqu'on regarde un loch écossais à une certaine distance, la vie (ou du moins son décor) est très belle.

En fait, oui, bien sûr - la planète terre est magnifique. Mais tout le monde n'a pas la possibilité matérielle d'en explorer les beautés, et de plus, même avec cette possibilité, il suffit d'un mal de dents, d'une contrariété ou d'une angoisse, pour être incapable d'admirer le paysage à sa juste valeur.

Si on entre dans le coeur du sujet, et qu'on parle de la vie elle-même, on lui trouvera aussi plusieurs points noirs :

- le principe d'entropie. Les fruits pourrissent, les gens vieillissent, et il suffit de laisser pendant quelques jours sa voiture dehors pour la retrouver sale. Toute chose laissée à elle-même se dégrade. De plus, comme l'être humain a un minimum de conscience, il sait très bien qu'il va vieillir, qu'il vieillit, et que chaque minute le rapproche de sa mort. Pas de quoi pavoiser.

- la faiblesse humaine. Il suffit de si peu de choses pour être malade, pour se casser un bras, etc... Et comme les autres aussi sont mortels, on n'est pas non plus à l'abri de perdre un être cher.

- Les difficultés et tracas qui sont inévitables, même dans les existences les plus heureuses. Malgré ce que certaines images publicitaires essaient de faire croire, le paradis n'existe pas sur terre. Et même dans les lieux les plus paradisiaques, on souffre.

Et encore, je parle seulement de quelques misères inhérentes à la vie, et pas de toutes les misères dont l'Homme est responsable et qui s'ajoutent à celles-ci : injustice, violences, famines, guerres...

Mais avoir conscience de tous ces (graves) inconvénients de la vie ne conduit pas forcément au désespoir et au suicide. En effet, tout dépend de la signification qu'on donne à la vie, ou que la vie aurait objectivement et qu'on a découvert.

Un homme taille une pierre sous un soleil de plomb. Un autre taille aussi une pierre sous un soleil de plomb. Font-ils le même travail ingrat ?... Ont-ils la même envie de rendre leur tablier et de jeter leur marteau ?...
Non, car l'un a été embauché sans savoir par qui, et taille sans savoir pourquoi - tandis que l'autre construit la maison où il vivra avec sa bien-aimée, qui ne l'épousera que lorsque la maison sera prête. Le premier peine pour rien, le second bâtit le nid de son amour.

Un homme gravit péniblement une montagne. Un autre gravit tout aussi péniblement une autre montagne. Mais l'un est Sysiphe, condamné par des dieux cruels à pousser un rocher jusqu'au sommet pour le voir rouler au bas ensuite (supplice absurde et désespérant), tandis que l'autre est en mission de sauvetage, parti pour sauver des alpinistes coincés dans la faille d'un glacier.

Tant qu'on ne voit pas pourquoi on vit, on est dans la situation du manoeuvre ou de Sysiphe. Lorsqu'on voit ou qu'on sait pourquoi on vit, on est dans la situation de l'amoureux ou du sauveteur.

Et tant qu'on est vivant, on a la possibilité de changer de rôle.

La peur et l'angoisse

Quand on a peur, c'est généralement de quelque chose. On a peur d'être cambriolé, ou peur d'être tué...
Quand on est angoissé par contre, c'est généralement sans raison évidente. On a tous les symptômes de la peur (gorge nouée, appréhension, coeur qui palpite, etc.) mais aucun danger en vue.
C'est pour cela qu'un philosophe a opposé peur et angoisse, en considérant que la peur était en quelque sorte rationnelle, tandis que l'angoisse relèverait du métaphysique.

En fait, on peut tout aussi bien considéré que la peur est une variété d'angoisse, ou l'angoisse une variété de peur.

La peur serait une angoisse localisée, identifiée - tandis que l'angoisse serait une peur diffuse, inconnue... non identifiée.

Ce qui ne signifie pas qu'on a peur de rien quand on est angoissé - on a peur de quelque chose, mais on ne sait pas de quoi. Ce "quelque chose" qu'on pressent obscurément sans parvenir à le définir existe, mais - pour d'innombrables raisons - il nous reste voilé.

Pourquoi n'arrive-t-on pas à savoir de quoi on a peur, lorsqu'on est angoissé ?...

Plusieurs explications sont possibles.

1/Ce peut être parce que pour voir clairement (avec les yeux de l'esprit) le "quelque chose", il nous manque certaines informations essentielles. Un peu comme quelqu'un qui entendrait un bruit bizarre dans la nuit : il aurait peur sans savoir de quoi, faute d'une lumière qui lui permettrait d'examiner les alentours.

2/Ce peut être parce que le "quelque chose" est masqué par autre chose, qui ne fait pas peur. Un peu comme si Freddy enfilait le masque de Mickey. On voit le visage de Mickey, qui n'a rien d'effrayant, mais à la lisière de masque on distingue assez de chair décomposée pour se sentir angoissé... sans comprendre pourquoi.

Pour résumer, le "quelque chose" d'inconnu qui fait peur dans le cas de l'angoisse, est soit caché par notre ignorance (la nuit), soit caché par autre chose (le masque de Mickey).

L'angoisse est bien liée au métaphysique : elle est causée par une ignorance métaphysique, ou par une illusion métaphysique.

Est-ce qu'il suffit de ne pas voir le danger qui approche pour être rassuré ?... Non, car on le perçoit malgré tout à d'autres signaux plus subtils. Est-ce qu'il suffit de croire de doux rêves bleus pour ne pas pressentir la réalité ?... Non plus, car l'illusion a toujours une faille, une marque de fabrique qui la trahit comme telle, et quand bien même on y croit dur comme fer, un petit quelque chose nous empêche de dormir sur nos deux oreille.

L'angoisse (peur sans contour) est le pressentiment d'un danger bien réel, que l'ignorance et l'illusion estompent.

Selon une fable zen, l'angoissé serait dans la position de cet homme qui, voyant au sol une forme serpentine, hurle de terreur - alors qu'en réalité, il ne s'agirait que d'une corde.

Mais on pourrait tout aussi bien soutenir que l'angoissé est dans la position de cet homme qui, apercevant sur le sol une forme étrange, hurlerait de terreur si tout le monde ne lui répétait pas : "Ne t'en fais pas, ce n'est rien, ce n'est qu'une corde..." alors qu'en réalité, il s'agit d'une vipère.

21 septembre 2006

Mélancolie, déprime, dépression, problème spirituel : de l'importance de bien nommer

J'ai adopté un animal jaune d'allure sympathique et primesautière. Selon que je l'identifie comme girafe ou canari, je ne lui accorderai pas la même nourriture, ni la même place dans mon appartement.

L'exemple est trop surréaliste pour être crédible.

En voici un, dont l'authenticité n'est pas prouvée mais qui parait déjà plus réaliste : un couple de touristes trouve un chien sauvage à l'allure étonnante sur une île des Galapagos. Ils le ramènent avec eux. Ce chien devient leur animal de compagnie. Un jour, ils le laissent seul avec leur bébé. Quand ils rentrent, plus de bébé : le "chien" l'avait mangé.
En réalité, c'était une espèce de très gros rat...

Cette petite histoire met en lumière l'importance vraiment cruciale d'identifier correctement, c'est-à-dire de nommer correctement.

"Je me sens triste. J'ai sans arrêt envie de pleurer. C'est d'ailleurs ce que je fais souvent, sans savoir pourquoi... La vie est amère. Elle me fatigue. Je ne comprends pas à quoi elle rime. Le moindre petit geste me coûte de grands efforts. Tout ce dont je me sens capable, c'est de rester au fond de mon lit."

Quel est le problème de cette personne ?
Une déprime ?
Une dépression ?
Un tempérament mélancolique ?
Un problème spirituel ?

Selon le terme que l'on choisit pour identifier, nommer son problème, on s'orientera vers un certain type de "solution" (qui n'en sera pas une, si l'on prend le rat pour un chien.)

Si on le baptise déprime, il faut se secouer ! Sortir, voir du monde, aller au cinéma, rire un bon coup... car la déprime, d'allure familière et pas sérieuse, ne mérite pas un traitement médical. Juste un peu de volonté pour se reprendre en main.

Si on le baptise dépression, on pensera aux anti-dépresseurs. Car l'anti-dépresseur semble, au moins d'un point de vue sémantique, le contre-poison exact, parfaitement approprié, à la dépression.

Si on le baptise, comme autrefois, tempérament mélancolique, il n'y a pas grand chose à faire... à part peut-être se lancer dans la poésie.

Si on le baptise problème spirituel, comme on le faisait à l'époque où les psys étaient prêtres, c'est en se tournant vers Dieu qu'on trouvera la solution.

20 septembre 2006

Leader malgré soi

Aux prises avec le désespoir, le monde extérieur s'efface. Il ne reste plus que soi - soi et l'angoisse, la confusion, la misère morale.

On oublie alors toutes les responsabilités qu'on peut avoir vis-à-vis des autres, si l'on en a. Et dans la bulle de plus en plus étroite qui se referme autour de nous, l'idée même de "responsabilité" paraît absurde ou dérisoire...

Malheureusement ou pas, même dans cet état de désarroi avancé, on est un leader. Un guide. Et lorsqu'on traverse la rue en dehors du passage pour piéton, il y a peut-être un enfant de douze ans qui nous prend pour modèle et qui s'inspirera plus tard de notre insouciance, de notre inconscience, pour traverser lui aussi là où c'est dangereux.

Nos actes, même les plus petits, se répercutent autour de nous en ondes toujours plus vastes, comme des cercles sur l'eau quand un caillou y tombe. Ce n'est peut-être pas une nouvelle très agréable - car lorsqu'on se sent mal on voudrait être délivré de toute responsabilité, et on se sent de toute façon incapable d'en assumer une seule -, mais la réalité ne cesse pas d'être pour autant.

Cette influence positive ou négative que nous avons sur le monde qui nous entoure, peut du moins nous motiver pour chercher une solution à nos souffrances morales : car ce n'est pas seulement nous qui sommes en cause, mais tous ceux avec qui nous sommes directement ou indirectement en contact.

Nous aider nous-même, c'est aussi aider (par la propagation de l'onde de choc) tout un tas d'autres personnes que nous connaissons déjà, ou que nous ne connaissons pas encore. Car si nous allons mieux, nous pourrons par la suite aider d'autres personnes à aller mieux, qui aideront d'autres personnes à aller mieux, etc.

Inversement, si nous nous abandonnons nous-même, nous tirons vers le bas d'autres personnes connues et inconnues à notre suite. Car on a beau dire "faites ce que je dis, ne faites pas ce je fais", c'est toujours ce que nous faisons, ou ce que nous ne faisons pas, qui sert d'exemple...

La lutte contre le désespoir, la recherche de solutions, n'a rien d'égoïste : en fait, se changer pour le mieux est non seulement le plus beau cadeau qu'on puisse se faire, mais le plus beau cadeau qu'on puisse faire aux autres.

Les anti-dépresseurs

Un homme riche vient de se faire plaquer par sa femme. Il se sent nul, il se sent seul, il se sent abandonné... et pour se débarrasser de tous ces sentiments désagréables, que fait-il ? que doit-il faire ?

Une solution logique, serait de s'inscrire sur meetic ou sur tout autre site de rencontres pour chercher une nouvelle compagne.

Mais ce qu'il fait lui, est tout différent : il se consacre avec encore plus d'acharnement à son travail, pour gagner encore plus d'argent (or sa femme l'a quitté précisément à cause de ça : il s'investissait trop dans son travail et pas assez dans sa vie de couple). Il soigne sa blessure sentimentale avec de l'ambition financière et professionnelle. Et du coup, son problème ne se résoud pas.

Lorsqu'on cherche à soigner une dépression - autrement dit, un douloureux état d'âme - avec des anti-dépresseurs, on est un peu dans la même situation que cet homme qui cherche à se consoler d'une rupture en gagnant plus d'argent.

Comme la "solution" n'a rien à voir avec le problème, elle ne soulage pas grand chose.

D'ailleurs, pour se convaincre de l'inanité de cette démarche, il suffit de se pencher sur la manière dont les anti-dépresseurs sont conçus.

Les chercheurs identifient une molécule chimique active, puis la testent sur des animaux de laboratoire (qui ne sont pas particulièrement mélancoliques ou suicidaires, même si être un animal de laboratoire est en soi une bonne raison de l'être).

"On va repérer à quel dosage la molécule de Chlorpromazine génère tel ou tel comportement spécifique lorsque le rat grimpe par exemple sur une corde. Si le comportement se répète de rat en rat à chaque expérience avec la corde, on estimera donc que l'expérience est un modèle prédictif (qui permet de prédire) et donc de tirer une information incontournable sur les effets de la molécule. Et si l'on observe les mêmes effets sur des rats dans la même expérience mais avec une autre molécule, on en déduira que cette molécule peut avoir des vertus curatives similaires que la Chlorpromazine."
(cf. http://www.karmapolis.be/pipeline/psychiatrisation.htm)

Ce qu'il est intéressant de noter ici, c'est que la seule chose qu'on peut réellement déduire de ce type d'expérience, c'est qu'à un certain dosage la molécule de Chlorpromazine détermine un rat à grimper sur une corde. On pourrait en extrapoler tout au plus, qu'un dépressif qui absorbe du Chlorpromazine va se mettre à grimper lui aussi aux cordes qu'on lui présentera. Mais cela implique-t-il qu'il est guéri, ou que la Chloropromazine a des "vertus curatives" ?...

Curatives de quoi, d'ailleurs ?...

En effet, la cause réelle de la dépression n'a pas encore été identifié par les psychiatres, ni par les médecins. On ne sait toujours pas pourquoi une personne déprimée, est déprimée.

Or pour soigner une maladie, il faut d'abord la connaitre. On ne soigne pas une éruption d'acnée juvénile comme si c'était la peste - même si dans les deux cas, on constate l'apparition de gros boutons. Percevoir des symptômes ne suffit pas : encore faut-il identifier la cause cachée de ces symptômes, autrement dit l'origine de la maladie.

La dépression (la tristesse) est un symptôme ; pour la soigner il faudrait commencer par découvrir sa cause invisible : pourquoi est-on déprimé ?...

Un médicament agit sur une cause connue, identifiée en tant que telle. Quand un médecin a compris par exemple que la fièvre d'un malade est due à tel virus, il sait quel antibiotique lui prescrire. Et l'antibiotique en question agit contre ce virus bien précis qui est à l'origine de la maladie, qui est la cause de la maladie.

Les anti-dépresseurs n'agissent nullement sur la cause du problème, la cause de la dépression... on peut donc dire sans exagérer, que ce ne sont pas des médicaments. Ce sont plutôt des "modificateurs d'humeur et de comportement". Ce qui leur fait un point commun avec l'alcool et la drogue.

Il est d'ailleurs intéressant de noter que les laboratoires pharmaceutiques qui fabriquent les anti-dépresseurs d'aujourd'hui fabriquaient du LSD et bon nombre d'autres drogues dans les années 60, qu'ils testaient sur des "volontaires" mal informés, qui ne savaient pas ce qu'on leur faisait avaler.

Une situation définitivement révolue ?...

Croyances invisibles, poisons subtils

La PNL (programmation neurologique et linguistique) en particulier et le developpement personnel en général, insistent à juste titre sur le rôle essentiel des croyances.

Voici leur thèse, en résumé :

A une époque lointaine (souvent l'enfance), certaines expériences et émotions nous ont "programmé". Depuis, nous hébergeons des idées, croyances, etc., qui perdurent, alors que les causes qui leur ont donné naissance ne sont plus. Exemple : à cinq ans, on a été traumatisé par une infirmière rousse qui nous a douloureusement planté une seringue dans les fesses. Depuis, les rousses nous angoissent, et nous détestons tout ce qui est rouge.

L'émotion, qui avait une raison d'être à son époque, perdure hors-contexte.

Mais le développement personnel a un point faible : son côté un peu trop personnel, justement... Ainsi, dans cette interprétation de la réalité psychologique, on néglige complètement ce qui est collectif, social, pour se focaliser exclusivement sur les croyances strictement personnelles - celles qui trouvent leur origine dans une histoire singulière et unique.

Or, nos croyances se répartissent très approximativement comme suit :
50 pour 100 de croyances "impersonnelles", issues de la doxa dominante ;
50 pour 100 de croyances "personnelles", issues de notre histoire propre, de nos démêlés bien particuliers avec papa, maman, les infirmières.

Les premiers 50 pour 100 ne sont pas négligeables, et si les tenants du développement personnel les néglige, c'est peut-être qu'ils les partagent.

Ces croyances-là (qui sont autant celles de la société dans laquelle on vit que les nôtres) sont invisibles, car presque toutes les personnes que nous rencontrons ont les mêmes. Cela ne veut pas dire qu'elles sont inoffensives, ou qu'elles ne jouent aucun rôle dans les troubles mentaux ou les dépressions dont on peut souffrir.

Ce sont les pays occidentaux qui comptent le plus grand nombre de dépressifs et de suicidaires : il se pourrait bien qu'il y ait une corrélation entre les croyances "générales" du monde occidental - celles que partagent quasiment tous ses membres - et cette gangrène dépressive qui le ronge. Ce n'est du moins pas à exclure.

Socle invisible sur lequel s'inscrivent nos croyances plus personnelles, les croyances générales auxquelles on adhère sans s'en rendre compte ne sont pas, à nos yeux, des croyances - juste des faits.

Ce que l'on a lu dans son manuel scolaire, à un âge où l'on croyait aveuglément tout ce que la maîtresse nous disait à l'école, s'est inscrit dans notre psyché dans la rubrique "vérité, évidence, réalité". Si rien, par la suite, ne déclenche en nous une prise de conscience brutale, nous garderons toute notre vie ces croyances invisibles, poisons subtils qui nous empoisonnent en toute discrétion.

18 septembre 2006

C'est quoi, un ex-dépressif ?...

Lorsqu'on est déprimé, on a tendance à douter de la possibilité de sortir un jour pour de bon (et non provisoirement) de la tristesse, de la confusion et de l'angoisse.

En effet, on vit soi-même des moments de répits... inexpliqués, comme ceux où l'on souffrait... qui nous laissent perplexes : sommes-nous encore dépressifs ? est-ce que c'est vraiment fini ? est-ce que ça va revenir ? et quand ?...

En général, ça revient.

Car tant qu'on a pas compris très clairement pourquoi on se sentait mal lorsqu'on se sentait mal, on n'est pas sorti de cet état de mal-être : on s'en est éloigné provisoirement, mais un élastique invisible nous y rattache toujours.

Pour que l'élastique se rompe, pour que l'on se retrouve vraiment ailleurs (un ailleurs qui est ici, un ailleurs beaucoup plus réel que le lieu glauque où l'on se décomposait auparavant), il faut que quelque chose de bien précis, quelque chose de définissable et d'explicable change, ou arrive.

Tant qu'on ne sait pas expliquer pourquoi on se sentait mal avant et pourquoi on se sent bien aujourd'hui, tant que nos états d'âmes nous arrivent d'ailleurs comme la pluie ou le soleil, phénomènes mystérieux que nous subissons sans pouvoir ni les expliquer, ni les maitriser, on est dépressif.

La branche morte emportée par le courant passe à l'ombre et au soleil : tant qu'on est déprimé ou euphorique sans comprendre pourquoi, on est comme cette branche.

Alors, c'est quoi, un ex-dépressif ?... un ex-dépressif, c'est quelqu'un pour qui l'élastique s'est rompu. Il sait pourquoi il souffrait avant, et pourquoi il ne souffre plus. Il a rejoint la rive de sécurité, et l'inquiétant Inconnu ne le tentent plus. Il ne croit plus aux prestiges de la folie, ni à la prétendue "sagesse" qu'on trouverait au delà des portes d'ivoire et de corne.

Lorsqu'on est dépressif, on doute de la possibilité de cesser vraiment de l'être.

Quelqu'un qui aurait toujours vécu dans un labyrinthe croirait-il qu'on peut vivre à l'air libre ?... Il en douterait, pour n'avoir jamais respiré l'air pur, ni contempler le ciel.

Cela signifie-t-il que ce n'est pas possible ?...
Cela signifie-t-il que ce n'est pas possible pour lui ?...

En fait, c'est possible pour lui comme pour n'importe qui, à condition qu'il cherche sans relâche l'issue du labyrinthe, à condition aussi qu'il demande à tous ceux qu'il rencontre où est la sortie - et que, selon les réponses, il tente à chaque fois un nouveau itinéraire.

Celui qui, par contre, se contenterait d'arpenter toujours le même couloir - aller, retour, aller, retour - ne trouverait jamais la sortie.

Ceux qui rient du désespoir des autres : qui sont-ils ?

Au fil des forums, on trouve parfois des messages agrémentés de smileys rigolards, qui répondent à des messages désespérés par : "Je vends des cordes si tu veux. (smiley hilare montrant toutes ses dents). Mais si tu voulais te tuer, ce serait déjà fait. (smiley qui se marre.)

Comme internet est le royaume de l'anonymat, on ne peut que faire des suppositions sur la véritable identité des personnes qui répondent de cette manière à ceux qui souffrent...

Ce genre de commentaire me fait toujours un effet bien particulier : j'aurais envie d'expliquer à celui qui a écrit ça, qu'il ne devrait pas, tout en sachant très bien que tout ce que je pourrais lui dire lui apparaitra comme du moralisme nian-nian, et ne changera absolument rien à sa manière d'être et d'écrire. D'où un désagréable sensation d'impuissance, doublée d'une envie de frapper impossible à satisfaire.

Au XVIIIème siècle, les jeunes nobles anglais à la mode pariaient sur tout et n'importe quoi. Ils organisaient des "courses de vieilles femmes" (pauvres bien sûr) comme si c'était des courses de chevaux, si elles en meurent c'est pas grave. Celui dont la vieille femme est arrivée première, a gagné le pari.

Il y aura toujours des individus - en particulier jeunes, en particulier mâles, mais il y a certainement de nombreuses exceptions - qui ont de l'argent, pas de problème, beaucoup d'arrogance, et qui considèrent le reste de l'humanité comme une source inépuisable de plaisanteries très spirituelles. Pour eux, un homme qui meurt de faim est comique, un clochard est une bonne blague, un désespéré est rigolo.

La compassion, c'est-à-dire la capacité à se mettre à la place des autres et d'imaginer leur souffrance, est atrophiée, ou plutôt inexistante chez eux. Peut-être qu'ils ont une malformation génétique très discrète, moins visible que la trisomie, qui fait qu'à la naissance déjà, ils étaient privés de cette faculté-là... (c'est une hypothèse).

A l'école maternelle, une plaisanterie circulait dans la cours de récré : c'est quoi, un éthiopien avec un chapeau blanc et des chaussures blanches ?... La réponse était : un coton-tige. Mais ce qu'on peut excuser de la part d'enfants de 5 ou 6 ans, cesse d'être excusable passé l'âge de raison. D'ailleurs, il est quasiment certain que celui qui avait inventé cette "blague" n'était pas un enfant.

Si l'on en croit les sites de rencontre et les magazines féminins, beaucoup d'entre nous cherchent un partenaire "ayant le sens de l'humour".

L'humour est une manière de prendre les choses sous leur côté léger qui parfois, aide à dédramatiser sa propre misère, et parfois, aide à dédramatiser la misère des autres : c'est-à-dire, une manière de s'insensibiliser aux souffrances de l'Humanité. Une manière de devenir indifférent, cynique... sadique.

Comme aurait pu le dire un empereur romain : Qu'ils crèvent, pourvu qu'on rigole, pourvu qu'on passe un bon moment... Et c'était bien à cela que servaient les jeux du cirque et ses meurtres : à passer un bon moment, à se divertir.

Les publicités colorées et rigolotes ont un peu le même effet. Sur certains sites pour ados, on trouve des messages de désespoir et de souffrance totale, encadrés par des publicités du genre cartoon. Ce contraste typique de notre époque, a pour effet de banaliser, dédramatiser, relativiser la souffrance des autres - car la sienne, on la connait toujours trop de trop près pour en faire peu de cas.

Prenons par exemple la phrase "j'ai envie de mourir" prononcée par un jour d'hiver froid et pluvieux, sur un pont - et la même phrase dans une bande dessinée de Garfield. Dans ce second contexte, elle fera rire. Dans un comics, rien n'est sérieux.

La publicité et ses images marrantes, colorées, second-degré, crée à tout ce qu'elle entoure (et que n'entoure-t-elle pas dans notre monde ?...) un contexte de comics. Envie de mourir ?... Bonne blague ! Vas-y, t'es pas cap ! Ah, t'es cap ? Pas grave : un de perdu, dix de retrouvé...

16 septembre 2006

Les conséquences d'un suicide

Souffrance, douleur, incompréhension... ça bien sûr, on s'en doute un peu. Ce à quoi on n'a pas forcément réfléchi, c'est que les conséquences d'un suicide sur ses proches (sa famille, ses amis, ses enfants) sont encore plus mortelles que ça.

En effet - cf l'article "suicide et esprit grégaire" - l'être humain est éminemment influençable. En particulier, influençable par les personnes qui lui sont le plus proches. Si un simple article dans un journal évoquant le suicide d'une célébrité peut déclencher un recrudescence impressionnante de suicides dans les jours qui suivent, l'influence du suicide d'un proche, pire encore du suicide d'un parent, sera certainement encore plus profonde et déterminante pour la suite - ou la non-suite.

Autrement dit, lorsqu'on se suicide, on trace pour toutes les personnes qui nous sont proches une route qui mène au suicide (le leur). Et si la route était déjà tracée, on l'élargit, on la goudronne : on la transforme en autoroute. On aurait tendance à interpréter les cas de "familles de suicidés" comme des exemples de "familles de désespérés", et bien sûr... cette interprétation est - partiellement - juste. Mais pour bien comprendre de quoi il s'agit, il faut s'interroger sur le poids des influences familiales sur les choix des individus.
Il y a des familles où tout le monde est pompier ; des familles où tout le monde est prof ; des familles où tout le monde joue aux dominos ; des familles où tout le monde joue au casino, etc. Jean-Pierre admire beaucoup son père, qui est médecin. Il a décidé de suivre sa route. Et maintenant, prenons un scénario (à peine) différent : Jean-Pierre admire beaucoup son père, qui s'est suicidé. Il a décidé... quoi ?

Lorsqu'on pense au suicide, il faut prendre conscience qu'en passant à l'acte, on va faciliter le suicide de toutes les personnes qui nous sont proches, et en particulier celui des personnes qui nous aiment le plus, celles qui nous admirent, celles qui s'identifient à nous. Au cours des années à venir, lorsque nos proches auront une difficulté, ils penseront tout de suite : "Et si je me suicidais, comme mon père (ma mère, ma soeur, mon frère) ?" Cette option leur apparaitra comme infiniment plus raisonnable, plus valable qu'elle ne leur paraissait avant notre suicide. L'être humain imite. Et ceux qu'il imite le plus naturellement, le plus inconsciemment, le plus irrésistiblement, ce sont ses proches. Les membres de sa famille.

Quoiqu'on en ait absolument pas l'intention, lorsqu'on se tue, on encourage, on pousse les gens qui nous aiment le plus à se tuer aussi... tôt ou tard.

14 septembre 2006

"Je ne demande pas grand chose..."

Certaines personnes déprimées (j'en ai fait partie à une époque) se disent ou disent : "je ne demande pas grand chose... juste d'être un peu heureux de temps en temps comme tout le monde... juste de ne pas être envahi sans arrêt par des angoisses, des idées noires... juste de ne pas être continuellement submergé par le stress..."

Et elles s'étonnent que leur bien modeste demande ne trouve pas satisfaction.

En réalité, c'est précisément parce que la demande est (faussement ?...) modeste, qu'elle n'est pas satisfaite.

En effet :

- Ce que toutes les luttes syndicales nous enseigne, c'est que pour obtenir le minimum vital (ici, un peu de tranquillité et de bonheur) il faut demander beaucoup plus.

- De la vie, on ne reçoit généralement pas plus que l'on ne demande : si l'on demande rien ou presque rien, c'est ce qu'on reçoit.

- D'autre part, il n'est pas prouvé "qu'un peu de bonheur" soit si peu de chose, surtout quand le point de départ est : "que du malheur". Le bonheur est un peu comme le pic d'une montagne : il ne pourrait atteindre son altitude sans l'énorme masse rocheuse en dessous.

Mais au fond, cette demande apparemment modeste d'un peu de paix et de bonheur, n'est peut-être pas si modeste que ça... elle révèle plutôt une inertie et une trouille. En effet, pourquoi demande-t-on peu, ou plutôt, pourquoi s'imagine-t-on qu'on demande peu ?... parce qu'on se doute bien, à un certain niveau, que pour obtenir beaucoup il faudrait chambouler radicalement sa vie, mettre en cause tout un tas de croyances auxquelles on tient comme à la prunelle de ses yeux (d'ailleurs c'est à travers elles qu'on voit le monde...).

Au fond, ce qu'on voudrait, c'est aller mieux... sans changer.

Bien sûr, c'est impossible. Tout aussi impossible que de retaper un vieux buffet sans le nettoyer et le décaper d'abord.

Dire : je voudrais juste un peu de bonheur (c'est-à-dire, je voudrais une amélioration sans rien modifier de substantiel dans ma vie), c'est un peu comme si l'on avait pour projet de transformer Saturne dévorant ses enfants (tableau de Goya), en L'escarpolette (tableau de Fragonard), en se contentant d'ajouter un peu de rose et de vert.

En fait, on s'en doute, la seule méthode est de jeter Saturne dévorant ses enfants à la poubelle, et de partir se procurer un bon poster reproduisant L'escarpolette. Changement total de décor.

Pour recevoir beaucoup il faut demander beaucoup, et pour demander beaucoup il faut se sentir prêt à tous les changements, tous les bouleversement que ce "beaucoup" implique. Tant qu'on ne veut modifier ni l'emplacement de nos meubles, ni celui des idées dans notre tête, on ne demande pas grand chose (ou plutôt, on croit qu'on ne demande pas grand chose, mais en fait, on demande quelque chose d'impossible, c'est-à-dire une amélioration sans changement) - et on obtient... pas grand chose.

Lorsqu'on se donne deux priorités contradictoires, on ne peut jamais être satisfait.

Ainsi, une femme qui chercherait un homme "très sérieux et fidèle" qui en même temps "la laisse complètement libre de tous ses faits et gestes", demande deux choses qui ne vont pas ensemble. Il faut qu'elle choisisse qu'est-ce qui est le plus important pour elle : la fidélité de son conjoint, ou sa liberté ?...

De même, quand on veut aller mieux sans déranger ses habitudes, on veux deux choses contradictoires. Il faut se demander qu'est-ce qui est le plus important, qu'est-ce qu'on considère comme la priorité des priorités : aller mieux, ou continuer sa vie sans changement ?
Car on n'obtiendra jamais les deux en même temps.

Idées noires, idées blanches, vertes, etc.

Voici ce qu'on peut lire sur la notice d'un antidépresseur : "en cas d'idées noires, consultez votre médecin."

Ce qui prouve que les "idées noires" sont une réalité reconnue très officiellement par la médecine. Mais qu'est-ce que le médecin va faire, lorsqu'on va lui présenter nos idées noires ?...

Va-t-il les prendre, et nous les échanger contre d'autres idées d'une teinte différente ?... Malheureusement non.

Et pourtant, de même qu'il y a des idées noires, des idées qui assombrissent le monde partout où l'on regarde, lui donnant une teinte obscure à tous les sens du terme (c'est-à-dire à la fois confuse et sinistre), il y a des idées blanches, des idées roses, des idées bleues claires, des idées vertes comme l'herbe tendre.

Alors pourquoi les médecins ne nous les propose pas ?...

Soit parce qu'ils ne les connaissent pas eux-même, soit parce que s'ils nous les proposaient, ils se feraient rayer illico de l'ordre des médecins.

Une idée n'est pas un truc innoffensif qu'on peut s'échanger comme des billes dans une cours d'école. Quelles que soient leurs couleurs, les idées sont des produits actifs sous haute surveillance, et il y a des gens qui ne veulent surtout pas qu'on entende parler des idées blanches, roses ou vertes qui nous feraient le plus grand bien.

Une population démoralisée et déprimée est bien plus facile à diriger qu'une autre... et un peuple sous antidépresseur n'a pas suffisamment de ressort ou de lucidité pour combattre ses ennemis intimes, ceux qui se font passer pour ses amis : les loups relookés en moutons ou en bergers.

Mais revenons aux idées, et à leurs couleurs.

Une idée noire rend tout sinistre et incompréhensible ; elle agit à la manière des lunettes de soleil quand il n'y a pas de soleil. Par contre une idée blanche rend tout clair et distinct. Une idée blanche est une idée lumineuse : elle apporte avec elle une perception limpide. Par elle, ce qui était le plus noir devient clair... non parce que miraculeusement le Mal deviendrait le Bien... mais plutôt parce que par elle, les phénomènes les plus inquiétants et horribles deviennent intelligibles.

Dans le marécages des idées noires, on ne connait ni la nuit (pour baigner dedans en toute inconscience), ni le jour. Dans la clarté des idées blanches, on connait et le jour, et la nuit : ce qui est noir n'est parfaitement visible que sur un fond clair.

Une idée verte a un effet vivifiant, fortifiant. Par elle, le sentiment de son identité se rassemble, se resserre, s'ancre profondément dans un sol nourricier : on sait mieux qui on est, et cette connaissance-là nous rend plus calme et plus fort.

Inversement, les idées rouges sombres (cousines des idées noires) ont un effet dissolvant sur la perception de soi. Plus on s'y enfonce, moins on sait qui on est. Telles des bombes à fragmentation, elles éparpillent notre identité en petits bouts épars...

13 septembre 2006

Connaître l'éléphant

Selon une fable anonyme, des aveugles voulurent palper un éléphant pour s'en faire une idée. Le premier toucha la trompe, et en déduisit que l'éléphant était pareil à un serpent humide. Le deuxième toucha une patte, et en déduisit que l'éléphant était pareil à un tronc d'arbre rugueux. Le troisième toucha la queue, et en déduisit que l'éléphant était pareil à une corde à linge poilue... chacun avait raison de son point de "vue" limité, mais aucun ne savait au final à quoi ressemblait vraiment un éléphant.

La vie est pareille à cet éléphant : selon la partie que l'expérience va nous faire toucher, on va s'en faire une certaine idée partielle, incomplète.

Lorsqu'on se concentre sur un certain détail du tableau et qu'on oublie tout ce qui l'entoure, ou qu'on a jamais eu conscience de ce qui l'entoure, souvent le détail en question change de sens, ou même, n'a plus aucun sens. Ce qui était un petit chien, ou un visage, ou une fleur, n'est plus qu'un entrelac de lignes confuses, abstraites, désespérantes d'absurdité.

Lorsque je suis sortie de la dépression, j'ai ressenti l'impression étrange qu'un voile se déchirait : ce voile m'isolait de la réalité réelle, de tout ce qui m'entourait en réalité. Une fois qu'il fut tombé, une fois que j'eus conscience de ce monde si vaste qui m'était resté invisible jusque là, un changement décisif s'est accompli en moi. Un changement irréversible.

On peut croire qu'un hamburger est une nourriture saine et équilibrée tant qu'on a jamais goûté à un vrai steack, mais lorsqu'on a eu ne serait-ce qu'une seule fois de la bonne viande dans la bouche, on ne peut plus jamais prendre un hamburger pour ce qu'il n'est pas...

De même, qui a vu de ses yeux un éléphant, ne peut plus jamais croire qu'un éléphant est pareil à un tronc d'arbre rugueux.

Nos perceptions (que nous prenons pour la réalité) sont souvent limitées par des facteurs à la fois internes et externes, idées fausses venues d'ailleurs ou souffrances personnelles. Mais il suffit qu'une fois - une seule fois - nous voyions les choses telles qu'elles sont, que nous goûtions à la saveur du véridique, pour que les illusions d'optique et les approximations menteuses s'effondrent presque d'elles-mêmes... Lorsqu'on a connu le vrai, on ne peut plus prendre le faux pour ce qu'il n'est pas.

Alors le pont qui aurait pu nous ramener en arrière, vers les vieilles souffrances usées et usantes du passé, vers les mirages et les sirènes, les illusions et les pièges, s'effondre.

Nous voilà en sécurité sur l'autre berge, entouré d'idées claires et distinctes. Et chaque chose est à sa place, sa juste place.
De la pointe de sa queue pareille à une corde poilue au bout de sa trompe pareille à un serpent humide, l'éléphant nous est enfin visible.

12 septembre 2006

Les idées qui rendent dépressif (2 : l'angélo-spiritualisme)

La suite de "Les idées qui rendent dépressif (1 : le matérialisme)"

Parmi la grande, vaste et mafieuse famille des idées qui rendent dépressif, on peut distinguer deux branches principales qui ne se ressemblent en rien, leur ancêtre commun se perdant dans la nuit des temps. Ces deux branches sont :

1/le matérialisme, ou plutôt, un certain genre de matérialisme (communisme exclu)
2/l'angélo-spiritualisme.

L'angélo-spiritualisme est une constellation d'idées qui tendent toutes à sousestimer, voire à nier, la réalité objective du Monde et de la Matière et du Mal, et à surestimer symétriquement tout ce qui est esprit, pouvoir de l'esprit, et bons sentiments déconnectés du réel.

Parmi les idées angélo-spiritualistes on trouve la croyance en la réincarnation, au pouvoir actif de la méditation (il suffirait de méditer devant un pissenlit pour purifier l'atmosphère terrestre de sa pollution), la pensée positive poussée à sa dernière limite - selon laquelle il suffirait par exemple de se convaincre qu'on rajeunit, par rajeunir effectivement -, bref toutes les innombrables croyances de l'ésotérisme et du nouvel âge, tarot et magie compris.

Selon les idées angélo-spiritualistes, il suffirait par exemple d'envoyer des "ondes d'amour" à tous les tyrans de la terre pour améliorer significativement le sort de leurs populations... En effet, toujours selon ces croyances, il suffirait d'aimer les méchants (de façon d'ailleurs très abstraite et lointaine) pour qu'ils changent en gentils.

La matière est complètement dévaluée dans cette perspective, car on croit que l'esprit peut tout, que c'est nous qui créons par la seule force de nos croyances le monde qui nous entoure... autrement dit, toute la réalité physique ne serait qu'une espèce de rêve, d'illusion collective, et la souffrance, la mort, etc., auquel la vie nous confronte ne serait que des illusions d'épreuve auxquelles on se soumettrait soi-même, dans un but nébuleux. L'esprit progresserait d'incarnation en incarnation vers un état toujours supérieur, et dans ce voyage nous serions à la fois les voyageurs et les organisateurs du voyage - ou pour le dire autrement, dans cette pièce de théâtre (une comparaison récurrente de l'angélo-spiritualisme), nous serions à la fois l'acteur principal et le metteur en scène.

A un niveau supérieur dont nous n'avons pas directement conscience, nous déciderions de tout, même du temps qu'il fait.

Autant il est assez évident que le matérialisme déprime, autant il est beaucoup moins évident que l'angélo-spiritualisme conduise à broyer du noir... c'est pourtant le cas.

Comment et pourquoi ?

à suivre

Pas d'amour, pas de sexe

Parmi les motifs qui poussent au suicide, ou du moins aux pensées suicidaires, se trouve celui-ci : pas d'amour, pas de sexe.

Bien sûr que la vie est infiniment plus douce, plus savoureuse quand on la partage avec quelqu'un qu'on aime... par contre, les aventures sans lendemain ne rendent heureux que lorsqu'on s'appelle James Bond et qu'on vit dans les films.

Mais dans l'image totalement idéalisée du sexe et de l'amour que se font ceux qui en manquent, entrent au moins deux facteurs :

- on a toujours tendance à surestimer la valeur de ce qui nous manque, que ce soit un verre d'eau pour un assoiffé ou une relation de couple pour un célibataire. C'est ce que les sociologues des techniques de vente appellent "le principe de rareté" : lorsqu'un article manque, il parait tout de suite plus désirable...

- On vit dans un monde qui s'emploie - par le biais des publicités, des films, de la télé, des magazines, etc. - à idéaliser l'amour romantique et le sexe.

Je ne veux pas dire que le sexe soit quelque chose de déplaisant, bien sûr (d'ailleurs si je le disais personne ne me croirait) - mais le sexe, ce n'est pas la plage, le soleil, le sourire, la beauté, la sérénité. Or, si l'on se fie aux images que la société de désinformation nous présente, on croirait bien que le sexe, c'est tout ça et plus encore.

On nous présente par exemple une très jeune femme à moitié nue, aux seins magnifiques, au visage candide, qui rit aux éclats. Autrement dit, on nous présente sous une forme visuelle l'équation suivante :

sexe (à moitié nue) = joie (qui rit aux éclats) = innocence (très jeune, au visage candide) = beauté (la jeune femme est splendide)

Ou encore, on nous balance dans les mirettes une femme aux fesse bombées et parfaites soulignées par un string absolument pas suggestif puisqu'il montre tout, qui avance vers une piscine étincellante... c'est l'été, il fait chaud, tout ça...

Et hop, une équation de plus :

sexe = vacances = argent (il en faut pour se payer une piscine) = beauté

Si un extra-terrestre débarquait sur la planète terre, et qu'il n'avait comme source d'information que les médias, il ne pourrait jamais croire qu'il y a des gens pauvres, ou pas beaux, ou méchants, ou pas jeunes, ou qui travaillent... qui ont quand même des relations sexuelles !

D'ailleurs c'est tellement peu évident, même pour les terriens de souche, qu'une auteure (Pascale Clark) a éprouvé le besoin d'intituler l'un de ces livres : "Tout le monde fait l'amour"... manière de dire que malgré ce qu'on pourrait croire, le sexe n'est pas réservé aux V.I.P. ou aux S.B. (Super Beaux).

Alors forcément, quand on n'a pas goûté à l'amour, ou très peu, et quand on n'a pas goûté au sexe, ou très peu, on a tendance à se fier aux équations des médias : à un niveau plus ou moins inconscient, on s'imagine que si on avait plus d'amour ou de sexe, on aurait aussi plus de beauté, de loisir, d'argent, de gaité, de sérénité, de jeunesse, etc.

De plus, on peut voir comme une espèce de perte sèche le fait de ne pas mettre à contribution érotique son corps encore jeune et ferme... les médias cultivant l'idée qu'il y a "un âge idéal" auquel il serait bon de se livrer à une activité sexuelle intensive. Pour en quelque sorte rentabiliser ce capital-corps que le temps érode inexorablement...

Ce dont on a pas forcément conscience lorsqu'on a toujours été célibataire, c'est qu'une relation de couple est un risque autant qu'une chance, et que parfois, rien est préférable à quelque chose.

D'autre part, la vie a sa sagesse propre, son timing incompréhensible quand on le vit, mais soigneusement calculé. Les choses arrivent à leur heure, ni plus tôt ni plus tard.

Pour avoir été célibataire tout au long de ces années qu'on prétend les plus belles, je sais rétrospectivement que je n'étais absolument pas prête à une relation saine. Et j'aurais mieux fait de continuer à m'abstenir de toute relation, que de me précipiter comme je l'ai fait par la suite dans ces relations sans lendemain qui ne font le bonheur de personne dans le monde en trois dimensions.

"Vaut-il mieux vivre malheureux ou mourir ?..." (Une question biaisée)

Je pose la question en ces termes, parce que lorsqu'on est très déprimé et malheureux, il peut arriver qu'on se la pose de cette façon.

En fait, cette question, qui est orientée vers une certaine réponse (la mort serait préférable), est subtilement biaisée.

Examinons comment.

On prétend parfois que les dépressifs n'arrivent pas à vivre dans l'instant présent et que c'est ce qui les rend dépressif. En réalité, lorsqu'on est déprimé on a plutôt la tendance inverse : on est tellement prisonnier de son pénible présent qu'on n'arrive pas à se projetter dans le futur, même dans un futur très proche. On arrive pas à imaginer demain, et encore moins, après-demain.

Ce qui fait que l'état de souffrance dans lequel on se trouve nous paraît sans limites : on en a oublié le commencement, qui se perd dans les brûmes d'un passé lointain même s'il est tout proche, et on arrive pas à concevoir sa fin, qui est peut-être toute proche elle aussi.

De la même façon, quelqu'un qui souffre sous la roulette du dentiste n'arrive pas à se souvenir de ce qu'il a fait hier, ni à penser à ce qu'il fera demain.

Dans un état de déprime, on oublie complètement et le passé, et le futur, pour ne plus vivre qu'aux dimensions d'un présent qui s'étire en éternité de souffrance... d'où cette question que l'on peut se poser : "vaut-il mieux vivre malheureux ou mourir ?"

Question d'où la dimension temporelle est complètement occultée, exclue. En fait, si on réintègre le temps, qui est une réalité, et tout ce qu'il apporte inéluctablement comme changements (ici comme changements positifs), il faudrait se poser la question en ces termes :

"Vaut-il mieux supporter d'être malheureux pendant un temps plus ou moins long, ou mourir ?"

Mais la question initiale est encore biaisée, déformée d'une autre manière.

En effet, personne n'a le choix entre vivre et mourir. Nous devrons tous mourir un jour, que nous le voulions ou non, que cela nous soulage d'un fardeau de souffrance ou non : toute âme goutera la mort.
Dans des circonstances normales, naturelles, ce passage inulectable à lieu plus tard que lorsqu'on se suicide.

Le choix n'est donc pas entre "vivre malheureux" et "mourir", mais plutôt entre "vivre malheureux" et "mourir avant son heure".

Ce qui donne donc :

"Vaut-il mieux supporter d'être malheureux pendant un temps plus ou moins long, ou mourir avant son heure ?"

Formulée de cette manière, la réponse est déjà moins évidente. Qu'est-ce qui est préférable : se montrer patient face à l'adversité, face aux souffrances morales, ou abréger prématurément le cours de sa vie ?...

La réponse que l'on choisira dépendra essentiellement de la manière dont on considère la vie et la mort.

Si l'on se croit né par hasard, sans but, la seule chose qui justifie notre existence c'est le bonheur - dès qu'on souffre, la vie parait absurde : elle n'avait déjà pas beaucoup de signification au départ, la tristesse lui ôte le peu qu'elle avait.

Si l'on croit que la mort est un repos, ou un retour à "une grande lumière" d'amour inconditionnel, on sera d'autant plus tenté par elle.

Vraies ou fausses, ces croyances répondent à des questions que parfois, on ne s'est même pas posées... c'est-à-dire que ce n'est pas toujours après un examen réfléchi et une recherche consciente qu'on a décidé de croire que "la vie n'a pas de but" ou que "la mort est une délivrance". On le croit souvent pour des raisons nettement moins rationnelles, telles que : autour de nous, tout le monde croit la même chose, ou : ce sont des idées que les films, les magazines, etc., véhiculent.

Pour revenir à la question initiale (vaut-il mieux vivre malheureux ou mourir ?), cette question occulte encore une autre dimension essentielle, un aspect pourtant très important du suicide, et qui devrait trouver sa place dans la question.

En effet, à moins d'être seul sur une île déserte comme Robinson sans Vendredi, on est en relations avec diverses personnes, sur lesquelles notre suicide aurait forcément un impact négatif et incitatif - cf. les articles "suicide et instinct grégaire" et "les conséquences d'un suicide". Plus les personnes nous aiment et nous admirent, plus l'impact sera fort.

Voici donc comment on peut reformuler la question pour qu'elle intègre ce facteur :

"Vaut-il mieux supporter d'être malheureux pendant un temps plus ou moins long, ou mourir avant son heure et pousser ainsi les gens qui nous aiment à se suicider eux aussi plus tard ?..."

Les questions que nous nous posons déterminent dans une grande mesure la qualité de nos vies. En effet, une question est comme un panneau de direction que notre esprit suit : si la question est mal posée, tendancieuse, biaisée, elle nous dirige vers une impasse, un champs de ronce, un gouffre. Si la question est bien posée, valable, elle nous dirige vers un endroit nettement plus agréable... parfois, vers le magnifique sommet d'une montagne.

Bouddha a dit : "je ne peux rien pour celui qui ne se pose pas de question".

Et effectivement, le fait de ne pas se poser de question du tout est peut-être plus tragique encore que le fait de ne pas se poser les bonnes questions. En effet, celui qui se pose de mauvaises questions peut toujours les corriger, tandis que quelqu'un qui ne se pose aucune question n'a aucun espoir d'arriver quelque part - ni dans un gouffre, ni au sommet d'une montagne.

Une loi naturelle aussi inévitable et systématique qu'une loi physique, est que toute personne qui cherche obstinément la réponse à une question, finit par la trouver (à moins bien sûr que la question soit trop mal foutue à la base).

Pour conclure, voici quelques questions qu'il peut être bon de se poser :

- Comment puis-je savoir en toute certitude ce que l'avenir me réserve de positif ? (sachant que les voyantes ne sont pas un moyen sûr).

- Dans quelles circonstances ai-je déjà eu de la chance ?

- Quelles sont les personnes qui ont moins de chance que moi, et pourquoi ?

- Quelles sont les questions dont j'ai besoin d'avoir les réponses pour être heureux, ou du moins, tranquille dans ma tête ?

- Où pourrais-je chercher leurs réponses ?

Il n'y a que les personnes qui ont renoncé à la recherche (parce qu'elles la croient vaine) qui désespèrent de la vie et d'eux-mêmes. Quelqu'un qui cherche n'est jamais complètement désespéré... et quelqu'un qui cherche, finit toujours par trouver.

06 septembre 2006

Suicide et instinct grégaire

Les souffrances psychologiques qui poussent au suicide sont immenses, mais le passage à l'acte lui-même est déterminé dans une certaine mesure par la perception de cet acte comme valable, pertinent, ou du moins, approprié.

En effet, lorsqu'on prend une décision, que ce soit pour quelque chose d'aussi dérisoire que le choix d'une nouvelle paire de chaussures ou pour celui, tragique, de mettre fin à ses jours, on est guidé par une perception - la perception que le choix qu'on fait est le bon, celui qui s'impose.

Or, comment détermine-t-on si un acte est approprié ?...

En partie par le comportement des autres. Car on s'imagine assez naturellement que les autres savent ce qu'ils font, eux.

Le mouton n'est pas un animal particulièrement suicidaire, et pourtant (si l'on en croit Rabelais) il suffirait de jetter à l'eau le mouton chef pour que tous les autres moutons du troupeau se jettent à l'eau à sa suite l'un après l'autre.
C'est que le mouton est un animal grégaire : sa seule manière de déterminer sa trajectoire, est de suivre les autres moutons. Si tous les moutons se précipitent vers la mort, il s'y précipitera avec eux.

L'instinct grégaire des moutons trouve une contre-partie chez les êtres humains : le conformisme social. Aucun être humain n'aime marcher seul ; l'Homme a besoin de suivre quelqu'un... et ce qui le rassure particulièrement, c'est de marcher au sein d'un groupe. Que nombre d'individus aient choisi le même chemin que lui le conforte dans son choix : comment pourrait-on être aussi nombreux à avoir tort ?...

Chataubriand est l'auteur d'un roman, René, qui devint un best-seller au début du 19ème siècle. Dans ce roman, le héros - un jeune homme tourmenté - se suicide par amour de la mort autant que par dégoût de la vie.
Nombreux furent les jeunes gens qui, enthousiasmés par le roman, se suicidèrent à leur tour, mais dans la réalité cette fois : leur mouton chef s'étant jetté à l'eau, ils le suivirent. Chataubriand avait réussi en effet à donner un vie à un personnage qui incarnait à merveille l'esprit du temps, et les tourments pyschologiques des jeunes gens de l'époque romantique.

Bien sûr, il y avait des souffrances psychologiques individuelles bien réelles derrière chacun de ces suicides. Mais la dimension collective et sociale (c'est-à-dire imitative) de ces suicides est tout de même patente : ces jeunes gens ont suivi René, et ont aussi suivi ceux qui ont suivi l'exemple de René, un premier suicide romantique en inspirant un deuxième, et les deux premiers en inspirant un troisième, etc.

En ce sens et seulement en ce sens, le suicide présente bien le caractère d'une épidémie contagieuse : l'instinct d'imitation grégaire peut faire des ravages... et il en fait.

De nos jours, lorsque les journaux parlent en détail d'un suicide, dans les jours qui suivent non seulement les suicides augmentent, mais les suicides maquillés en accidents augmentent aussi dans des proportions très significatives. L'influence est si précise, que ce sont les suicides ressemblant en tous points à celui décrit dans le journal qui sont plus nombreux !

Lorsqu'on souffre, on est peut-être plus vulnérable qu'un autre aux influences extérieures - mais ce n'est pas prouvé. En effet, quel que soit son état d'esprit, l'être humain est infiniment malléable, perméable à toutes les influences, disposé à suivre un modèle, ou simplement l'exemple de quelqu'un qui lui ressemble.

C'est pour cela qu'il est si important de bien choisir ses amis : si ceux-ci sont très suicidaires et qu'on est un peu déprimé, ils vont immanquablement nous entrainer à leur suite.

C'est pour cela aussi qu'il est si important de bien choisir ses lectures : celles-ci modèlent notre imaginaire, programment d'une façon très subtile et très efficace la vision que nous nous faisons de nous-même... et de notre futur.

Et c'est encore pour cela qu'il est tout à fait essentiel d'éviter certains films d'horreurs, qui peuvent salir l'imaginaire pendant des années. Les films marquent profondément l'inconscient : veut-on nourrir son inconscient - c'est-à-dire, le réservoir de nos projets, de nos espoirs et de nos rêves - d'aliens, de mort-vivants et d'hybrides gluants ?...

Pour briser un vase, il faut une seconde ; pour le recoller, plusieurs heures. Pour se polluer avec la tête il suffit d'un film (1h30), pour se la nettoyer, il faut parfois plusieurs années...

Notre société présente le cinéma comme un "divertissement" inoffensif.
En réalité, tout ce qui conditionne le mental a de l'importance, et le cinéma est un outil particulièrement puissant. Se gaver de films violents, négatifs et destructeurs, c'est utiliser cet outil contre soi - tel un enfant qui joue avec une arme à feu... à ses yeux ce n'est qu'un jeu, mais les conséquences sont dramatiquement sérieuses.

Même des films romantiques cuculs peuvent pousser indirectement au suicide.

Si tant de personnes déprimées s'imaginent qu'en se suicidant, "elles vont rejoindre leur grand-père dans le ciel" (idée attrayante qui les pousse à l'acte), c'est pour avoir vu des films et des téléfilms qui présentent les choses ainsi : quand on meurt, et de quelque manière qu'on meurt, on va directement dans une espèce de paradis très agréable où l'on rejoint tous ses chers disparus.

A une certaine époque, personne ne s'imaginait qu'en se suicidant, on pouvait rejoindre un proche décédé de mort naturelle ou par accident...

D'une manière pas très logique, ce sont souvent les mêmes personnes qui :
- s'imaginent que leur suicide leur permettra de rejoindre un être cher
- complètement athées, sont absolument sûres de l'inexistence de Dieu

Elles ne se demandent pas d'où leur viennent ces idées - que Dieu n'existe pas, mais qu'après la mort on retrouve quand même ses proches décédés dans une espèce de paradis... (paradis créé par qui ?).
Si elles les examinaient de près, elles verraient imprimé dans un coin, en tout petit : Belief made in Hollywood - croyance fabriquée à Hollywood.

Qui travaille à Hollywood ? qui fait les films que tout le monde regarde, avale, digère... par lesquels tout le monde se fait influencer consciemment ou inconsciemment ?

Ce ne sont pas des grands sages, mais des spécialistes de la fiction, des images virtuelles et des effets spéciaux. Autrement dit, des créateurs d'illusions, des illusionnistes. Autrement dit encore, des menteurs professionnels.

Et ce sont ces menteurs professionnels auxquels des millions de gens font confiance pour savoir ce qu'il y a après la mort...

Lorsque le mouton décide de se servir de sa tête, il s'aperçoit avec stupeur et effroi qu'il marche à l'intérieur d'un troupeau qui se dirige vers un gouffre. S'il veut sauver sa laine, et la peau qui est en dessous, il n'a pas d'autre solution que de remonter le courant et quitter le troupeau... c'est alors que sa laine s'assombrit, vire au noir. D'où une certaine solitude.

Mais n'est-il pas préférable de se servir de son intelligence et de survivre en mouton noir, plutôt que de se laisser entraîner vers la mort par une foule ovine qui avance sans savoir vers où ?...

05 septembre 2006

Nul - Qu'est-ce qui manque ?

Lorsqu'on est déprimé, gravement déprimé, on peut s'expliquer à soi-même ce mal être de deux manières très différentes :

- soit on pense qu'on est nul, qu'on n'a pas de place sur la terre, qu'on est un cafard minable et cafardeux, et que ce dont on souffre, c'est de voir lucidement cette insoutenable réalité-là.

- soit on pense que si on se sent nul, si on a l'impression qu'on n'a pas de place sur la terre, et qu'on a la nette sensation d'être un cafard minable et cafardeux, c'est qu'il nous manque quelque chose d'essentiel.

Si on en reste à la première "explication" [je souffre d'être nul et d'en avoir conscience] on n'a aucune raison de sortir de son lit, sauf pour se suicider.
Mais en fait, cette interprétation du problème - car ce n'est rien de plus qu'une interprétation - présente une incohérence interne qu'on ne voit pas lorsqu'on est déprimé.
Voici l'incohérence : si vraiment on était rien d'autre qu'un minable cloporte, pourquoi le fait d'en avoir conscience ferait-il mal ?... Une vraie punaise ne souffre pas d'être une punaise. Une vraie serpillère ne souffre pas d'être une serpillère.

Tout le monde ou presque, est d'accord pour admettre que "se connaître soi-même" est l'une des clefs du bonheur : si l'on était vraiment cet être dénué de toute valeur qu'on se croit être, le fait de s'en rendre compte ne serait pas douloureux, mais libérateur et apaisant. Or... la "lucidité" dont on se croit doté, et qui n'est peut-être qu'une forme particulièrement subtile et retorse d'aveuglement, blesse au lieu de guérir.

Prenons le cas par exemple de quelqu'un qui est prof de math, mais dont la vocation réelle est la boulangerie. Etant issu d'une famille de profs de maths, il a suivi ce chemin sans se poser de question. Un jour, à la suite d'un événement ou d'un autre, il a une prise de conscience : son truc, ce n'est pas les maths, c'est les croissants.
Il y a forcément quelque chose de libérateur dans cette soudaine révélation de son identité réelle : il comprend maintenant pourquoi les corrections de copie lui paraissaient si ennuyeuses, et se décide peut-être à se lancer dans l'aventure et à ouvrir une boulangerie.

Si vraiment on était "rien", on serait soulagé et heureux d'en prendre enfin conscience. Or, ce n'est pas le cas : on souffre au contraire grandement de cette idée, de cette croyance qu'on est nul.

Envisageons maintenant la deuxième explication : si on sent nul, faible, incapable, fatigué... c'est qu'il nous manque quelque chose d'essentiel. Quelque chose qui nous permettrait de nous sentir fort et paisible. Car effectivement, il n'y a pas trois mille possibilités :

1/soit nous sommes intrinsèquement nuls et rien n'y pourra rien changer ;

2/soit il nous manque quelque chose pour exploiter notre valeur, notre potentiel. Un peu comme un TGV sur un chemin de terre battue : le TGV est un excellent train, mais il lui manque quelque chose d'essentiel pour montrer sa valeur (des rails). Ou comme un astronaute qui n'aurait à sa disposition qu'un vélo : il ferait certainement un piètre cycliste. S'il donne aux autres et à lui-même l'impression d'être nul, c'est qu'il lui manque quelque chose d'essentiel pour être pleinement lui-même (une navette spatiale).

Cette seconde explication-là a deux mérites : premièrement elle est logique, deuxièmement elle pousse à l'action, elle pousse à chercher ce quelque chose qui manque.

Qu'est-ce qui manque ?...

Certains disent : certaines hormones ou substances chimiques. Un médicament nous apportera donc ce qui nous manque.

Certains disent : un métier plus satisfaisant, répondant à nos aspirations profondes. Un changement professionnel nous apportera donc ce qui nous manque.

Certains disent : un conjoint aimant. On en cherchera donc un, ou l'on se débarrassera de celui qu'on a déjà pour en chercher un autre.

Certains disent : la connaissance et l'amour de soi. On s'introspectera donc avec l'aide d'un psy ou d'un journal intime, pour gagner cette connaissance de soi qui nous manque.

Certains disent : des parents aimants, une enfance heureuse. Mais comme le passé est définitivement révolu, c'est comme si on disait : "Il me manque ce que je n'ai jamais eu, et que je n'aurai jamais".
Autrement dit, c'est foutu.

Certains disent... etc.

Et si ce qui manque était plus essentiel, plus subtil, plus solide et plus grand que tout ça ?

Demander la lune

Elle brille, lointaine, pure et inaccessible - et on voudrait bien la décrocher.
Il semble qu'il n'y a qu'elle qui pourrait nous accorder la paix.

La lune... un symbole d'illusion - car sa clarté n'est que celle, reflétée, du soleil -, un symbole d'idéal aussi.

Parfois, une famille qu'on aurait rêvé d'avoir et qu'on n'a pas eu... parfois, une mère tendre et aimante qu'on aurait rêvé d'avoir... parfois, un homme ou une femme inaccessible qu'on aime quand même (ou parce que)...

Lorsqu'on ne désire que l'impossible, où trouver ce qui nous manque ?...

Il semble alors que le monde soit mal fait, que la vie ait un problème - à moins que ce ne soit nous. Y aurait-il une incohérence, une aberration logique ?... ça expliquerait que nos désirs les plus profonds ne puissent pas trouver satisfaction, et que nous soyons condamnés à être éternellement privé de notre essentiel.

En fait, cette lune scintillante si belle à laquelle on aspire, ne comblerait peut-être pas notre manque. Cependant on ne pourra jamais savoir, car elle ne sera jamais dans notre assiette.
C'est là qu'est le piège, la ruse : à désirer l'impossible, on peut toujours croire, et continuer à croire, que si on l'obtenait, on serait comblé.
Et s'il n'en était rien ?

Peut-être que l'homme ou la femme inaccessible nous apporterait non le bonheur, mais un surcroit de souffrance. Peut-être que cet univers si "mal fait" qui nous refuse la lune nous protège au contraire contre un malheur bien plus définitif et fatal que celui qui est le nôtre actuellement.

04 septembre 2006

Apprivoiser son ombre ?

C'est un conseil que nombre de thérapeutes et de livres donnent aux personnes qui souffrent psychologiquement : apprivoisez votre ombre...

Je cite un de ces livres (attention, style moyennement compréhensible) :

"La réintégration de l'ombre est essentielle au développement d'une solide estime de soi. En effet, les pulsions de l'ombre qui auraient été laissé pour compte et n'aurait pas été apprivoisées viendront constamment consumer l'énergie du soi et en miner l'estime. Pour pouvoir harmoniser la persona et l'ombre, il est nécessaire de changer de registre, c'est-à-dire de recourir non pas aux efforts volontaires de l'ego mais à la force intégrative du Soi."

Pour comprendre ce que signifie ce conseil un peu nébuleux, et s'il est valable, il faut déjà décrypter ce terme mystérieux d'ombre. Selon la définition psychologique qu'on en donne généralement, l'ombre c'est tout ce que nous avons refoulé parce qu'on le juge inacceptable : bizzarerie, hostilité, esprit de délinquance, paresse, penchant pour les transgressions, etc.

Je cite encore le même livre :

"La peur d'être rejetée par son milieu fait que, jusqu'à la trentaine, une personne remplit son sac à déchets de tous ces matériaux. Au mitan de la vie, au moment où elle aura atteint davantage de maturité et sera devenue plus sûre d'elle-même, il sera temps pour elle de se mettre à vider le sac à déchets et à recycler tout le riche potentiel qu'elle y aura enfoui."

L'ombre (ou le sac à déchets) serait donc à reconnaître, apprivoiser, recycler, intégrer, réintégrer... bref il serait bon de se réconcilier avec elle. Grâce à cette réconciliation, on trouverait paix, lucidité et estime de soi.

Ce qui est résumé ici en quelques lignes, est une théorie abondamment développée chez de nombreux auteurs. Une citation l'illustre : "La fleur, c'est le fumier qui a été aimé" (Placide Gaboury). Ce qu'on pourrait exprimer encore d'une autre manière : aimez la merde, et elle se changera en or.

Cette théorie présente une failles logique assez large (très large même) que dissimule l'emploi de mots à demi compréhensibles combinés en phrases harmonieuses.

Voici la faille : comment peut-on recycler ou apprivoiser une tendance à la paresse, autrement qu'en restant au lit sans rien faire ? Autrement dit, comment les pulsions destructrices, asociales ou je-m'en-foutistes de l'ombre peuvent être recyclées dans autre chose que des comportements destructeurs, asociaux ou je-m'en-foutistes ?
Prenons une comparaison : j'ai une tonne de papier sale à recycler. Je peux le recycler en papier recyclé, en carton recyclé... et... c'est à peu près tout. Je ne peux pas recycler ma tonne de papier en bouteilles de verre, ni en sac en plastique. Après recyclage, le papier reste du papier (ou quelque chose de très similaire).

Réexaminons dans un esprit critique la phrase de Placide Gaboury : "une fleur, c'est du fumier qu'on a aimé".

Est-ce que c'est littéralement vrai ?

Suffit-il de prendre un gros tas de fumier bien puant et de lui faire des bisous en lui disant "je t'aime", pour voir une fleur s'y épanouir ?...

Ou est-ce qu'il faut aussi et surtout une graine ?

D'autre part, est-ce que l'aggressivité, la paresse, la délinquance... sont un terreau fertile pour les fleurs ? Autrement dit, est-ce que l'estime de soi et la paix intérieure se nourrissent de la haine, du laisser-aller... de ce genre de fumier ?

En fait, ce conseil (apprivoisez votre ombre) est en contradiction totale avec le plus élémentaire bon sens. C'est d'ailleurs pour cette raison même qu'il parait valable : le paradoxe présente souvent quelque chose de séduisant et de neuf qui donne envie d'y croire. Et puis, ce serait tellement pratique s'il suffisait d'aimer son mauvais côté pour trouver paix et bonheur...

Indiscutablement, chaque être humain est suivi partout par son ombre (un paquet de mauvais penchants et de tendances destructrices et auto-destructrices). Est-ce que cette ombre est à refouler et bannir ou à intégrer et aimer ?... Les psys répondent : "à aimer".

Aimez la merde, elle se changera en or.

Mais si l'on se remet dans l'état d'esprit qu'on avait à sept ans - à cet âge, on n'aimait pas encore les paradoxes sophistiqués, on était encore en contact avec son bon sens naturel, inné - on ne sera pas d'accord.

La merde reste de la merde, qu'on l'aime ou non. On trouve l'or dans le quartz, pas dans la cuvette des chiottes.

Chaque être humain a deux doubles, l'un lumineux et l'autre sombre : un ange et une ombre. L'ange conseille le courage, la patience, la recherche, les efforts... l'ombre conseille de piquer une colère, insulter ceux qu'on aime, sauter par la fenêtre du troisième étage. Chaque être humain est libre d'écouter l'un ou l'autre, de suivre les conseils de l'un ou de l'autre. Et selon les jours, selon les heures, c'est l'un ou l'autre qu'on prend pour guide.

Le "riche potentiel" de l'ombre est un riche potentiel de destruction, de catastrophes et de problèmes. Apprivoiser son ombre revient à apprivoiser un serpent venimeux : non seulement ce n'est pas possible, mais la seule chose qui en résulte est qu'on se fait mordre.

Dans la même veine de pensée, un auteur a essayé de trouver une "solution" à la fable de la chèvre de Monsieur Seguin (la chèvre de Monsieur Seguin était attachée à un piquet, elle s'en est libérée, a gambadé librement et au matin, le loup l'a mangé. Le piquet qui restreignait sa liberté la protégeait aussi.)

Dans la nouvelle version que cet auteur a proposé de la fable, la chèvre passe beaucoup de temps à contempler des photos de loup, jusqu'à se sentir emplie d'amour pour ce carnassier. Elle s'échappe comme dans la version originale, mais lorsque le loup arrive, au lieu de le fuir elle lui fait une déclaration d'amour. Le loup est ému, touché... et c'est le début d'une belle histoire. Ils vécurent heureux et eurent beaucoup de... euh ?... d'hybrides bizarres.

Cette histoire revisitée exemplifie à merveille l'idéologie soutendue par le conseil d'apprivoiser son ombre : il suffirait d'aimer le mal (en soi ou autour de soi) pour qu'il se change en bien.

Aimez votre inertie, elle se changera en activité.
Aimez votre colère, elle se changera en douceur.
Aimez Staline, il deviendra l'abbé Pierre.
Aimez Attila, il deviendra la Vierge Marie.

L'amour est certes un prodigieux médicament qui guérit de beaucoup de maux, mais le mal existe en tant que tel, et en tant que choix. Les trafiquants de drogue ou d'arme choisissent de faire ce qu'ils font. Qu'on les aime ou qu'on ne les aime pas ne va rien changer à leur choix... ou plutôt, qu'on les aime va les confirmer dans leur choix, s'ils avaient un doute.

Dans les les rêves et les théories, tout est possible - même l'improbable métamorphose d'un carnassier en herbivore ou d'une pulsion de mort en paix intérieure. Mais dans la réalité, les loups n'épousent pas les chèvres, ils les mangent.

Les auteurs qui rendent dépressif - Ceux qui ont l'effet inverse)

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Pour savoir quels sont les auteurs qui rendent dépressifs, c'est assez simple : il suffit d'étudier leur vie. S'ils ont fini fous ou suicidés, il y a de fortes chances que leurs livres expriment les idées qui les ont conduit à ce dénouement tragique.

Se nourrir avec délectation de ces nourritures intellectuelles-là, c'est comme les suivre sur le chemin qu'ils ont pris... en courant le risque d'arriver là où ils sont arrivés.

En tête du top cinquante des auteurs qui rendent dépressif : Cioran, Nietzsche, Schopenhauer.

S'il y avait besoin de preuve, il suffirait de récolter les messages de personnes suicidaires qui font référence à ces trois auteurs là, dans un contexte de déprime totale...

Nietzsche n'est pas devenu fou par hasard : ce sont ses propres idées qui l'ont fait disjoncter. Il s'est convaincu que le Mal est le Bien, et le Bien, le Mal, détruisant ainsi deux repères essentiels. Quelqu'un qui se convaincrait que le Bas est en Haut, et le Haut est en Bas, serait lui aussi sujet à des accidents graves.

Toujours en tête du top cinquante, il faut citer Darwin. Lui est beaucoup plus déprimant que déprimé. La fin de son Origine des espèces révèle clairement le genre d'effet qu'elle peut avoir sur le moral : il y dit en substance que l'être humain gardera toujours la marque infamante de sa vile origine.

Autrement dit : l'être humain ne pourra jamais devenir plus que ce qu'il était au départ... un singe.

Les auteurs qui rendent optimistes sont hélas plus rares. Eux aussi, on peut les identifier à leur vie : ils ont eu une existence bien remplie, une existence riche en relations significatives (amitiés, amours), et ont travaillé d'une manière ou d'une autre à améliorer le monde.

Parmi eux George Sand. Un écrivain à la fois très connu et complètement méconnu, qui a écrit autant que Victor Hugo, beaucoup voyagé, beaucoup aimé, beaucoup médité, beaucoup travaillé, beaucoup aidé les autres, et élevé avec soin ses enfants et petits enfants. Elle dormait très peu.

Ses romans ne sont pas tous optimistes (Sand a broyé du noir elle aussi, et les livres qu'elle a écrit dans ces moments-là s'en ressentent), mais la plupart le sont. D'un optimisme réfléchi qui n'a rien d'un carpe diem hédoniste - c'est plutôt un mélange de patience, d'humanité humaniste, de sagesse et d'interrogations philosophiques pertinentes.

Ce qui est particulièrement réconfortant dans ses romans, c'est qu'ils mettent en scène des personnages qui arrivent à changer pour le mieux, que ce soit au niveau matériel (ils parviennent à sortir de la misère et à trouver la prospérité), au niveau amoureux (ils finissent par épouser la personne qu'ils aiment), ou au niveau psychologique (ils sortent d'un état déprimé ou perturbé pour trouver l'équilibre et le bonheur).

Dans Nanon[1] - le roman qui m'a soutenu lorsque j'étais à l'hôpital psychiatrique -, la généreuse héroïne arrive par sa prévoyance et son travail à sortir de la misère, et finit par épouser l'homme qu'elle a toujours aimé.

Dans Mauprat[2], le héros qui semblait promis par sa famille de truands à devenir un criminel lui-même, échappe à ce destin écrit d'avance, réforme son caractère colérique et violent et devient un honnête homme pour plaire à la femme dont il est éperdument amoureux ; il finit (après moult péripéties dramatiques et parfois sanglantes) par l'épouser.

Dans Adriani[3], l'héroïne est dépressive, au bord de la folie. Elle ne se remet pas de la mort de son jeune mari, qu'elle aimait passionnément. Grâce à Adriani, le héros, elle sort de cet état de stupeur, reprend goût à la vie, et finalement... trouve le bonheur dans un nouvel amour, plus profond et réciproque que n'était le premier.

Les romans les plus réconfortants sont ceux qui commencent ou continuent mal et finissent bien : même au septième sous-sol, on peut encore y croire. Mais – hélas – ils ne sont pas bien nombreux. Mis à part ceux de Sand, on peut tout de même citer Les hauts de Hurlevent d’Emily Brontë, Jane Eyre de Charlotte Brontë, Sarn, de Mary Webb, Le Bossu, de Paul Féval, assez romanesque pour qu’on y oublie tous ses soucis, et bien sûr, mais ce n’est pas un roman, Le vilain petit canard d’Andersen.

Chacun peut compléter la liste avec ses lectures les plus édifiantes – mot qui ne paraîtrait ridicule ou désuet à personne si l’on se rappelait qu’il veut dire exactement la même chose que constructif.



[1] Nanon n’est pas encore réédité sur papier. On trouve le roman à cette adresse : http://jydupuis.apinc.org/vents/Sand-Nanon.pdf

[2] Mauprat, Gallimard, Collection Folio Classique, 1981.

[3] Adriani, Glenat, Collection L’aurore, 2004.