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20 décembre 2008

Le Diable Intérieur (Andrew Solomon) - 2

"La paranoïa se mit de la partie : à chaque fois que mon chien quittait la pièce, je commençais à craindre qu'il ne m'aime plus."

C'est drôle sans être drôle : oui, effectivement, on peut être paranoïaque à ce point-là. On peut éclater en sanglot "parce qu'il n'y avait plus de savon de douche" (p.93).

Mais énumérer tous les prétextes dérisoires d'être malheureux, à quoi ça mène ? à quoi ça rime ?...

C'est ce qu'on appelle "se noyer dans un verre d'eau" ou "faire une montagne d'une taupinière". ça ne signifie qu'une chose : que lorsqu'on rapetisse, les choses les plus minuscules deviennent immenses. Le monde vu par qqn qui est dans cet état-là, c'est l'univers décrit par un lilliputien. Le tout petit est énorme et l'énorme a disparu.

On en revient au rapport Cause/Conséquence.

Lorsqu'on efface, ou qu'on ne voit pas les causes, il ne reste plus que les conséquences qui paraissent mystérieuses, effrayantes.
C'est le principe de la magie : un lapin apparaît sans cause dans un chapeau haut-de-forme... et l'on s'émerveille. Une chauve-souris... et la stupeur le dispute à l'effroi.

S'attarder à décrire ce qui n'est qu'un résultat sans jamais en chercher l'origine, ou sans jamais la trouver (elle est "mystérieuse"), crée une impression de magie, de sortilège et d'impuissance.

C'est arrivé comme ça...
C'est venu d'un coup...
Sans prévenir...
Je ne sais pas ce qui s'est passé...
Un beau matin, je ne pouvais plus me lever...

Solomon est de bonne foi, enfin, il n'est pas de mauvaise foi, mais sa vision de ses propres souffrances est tellement tributaire du discours psychiatrique, que je ne vois pas très bien ce qu'elle peut apporter de plus que le blabla habituel. C'est vrai que son témoignage est authentique, c'est vrai qu'il raconte ce qu'il a vécu sans chichi, mais dans la mesure où il n'a rien compris à ce qu'il a vécu...

Voilà comment il parle de sa mère, et du Prozac qu'elle n'a pas avalé (selon lui, elle a raté quelque chose) :

"Elle faisait preuve d'une discipline personnelle remarquable. Je crois aujourd'hui que sa passion de l'ordre était commandée par la souffrance qu'elle reléguait méticuleusement à l'arrière-plan. [...] Qu'aurait été notre vie si le Prozac avait existé quand j'étais enfant ? [...] j'ai la chance de vivre à une époque où les solutions ont remplacé le combat. La sagesse dont ma mère a fait preuve pour vivre avec ses difficultés s'est révélée en grande partie inutile pour moi et, si elle avait vécu un peu plus longtemps, aurait été inutile pour elle. Cela semble poignant avec le recul."

Avant le Prozac, il fallait combattre la souffrance et faire preuve de sagesse pour y échapper ; depuis le Prozac, on n'a pas besoin de combattre parce qu'on a des "solutions" : Solomon pense que le Prozac remplace la sagesse.

Le courage et l'estomac, le Prozac et la sagesse : comment peut-on les mettre sur le même pied ?
Comment peut-on les considérer comme interchangeables ? Le paragraphe qui précède suffit à décrédibiliser tout le livre (d'ailleurs je ne suis pas sûre de réussir à le lire jusqu'au bout ; son ambiance est lourde, pesante, presque irrespirable).

Solomon croit aux cachets ; il y croit tellement qu'il continue à en prendre et qu'il a écrit Le diable intérieur alors qu'il était toujours sous Prozac - et sous quelques autres "médicaments". Il a pris la route qui mène l'atrophie affective, au ratatinement de soi. Il a traversé les états d'âme les plus douloureux sans renoncer à son orgueil, et continue à croire - il le dit à plusieurs reprises - que c'est cet orgueil qui l'a sauvé.

Sauvé ?

Alors qu'il s'est résigné à se droguer à vie ?

L'orgueil ne sauve de rien. L'orgueil ne protège de rien. L'orgueil ne construit rien. L'orgueil est néfaste! Et si vous en doutez, demandez-vous si vous avez envie de vivre, ou juste de parler, avec quelqu'un d'orgueilleux... vous verrez que la réponse est toujours "non". L'orgueil est ce qu'on appelait avant (à l'époque où l'on avait encore ce genre de catégories mentales) un "défaut".

L'orgueil n'est pas une bouée de sauvetage, c'est la brêche à fond de cale qu'on ne remarque pas, et qui nous précipite plus sûrement au fond que tous les icebergs croisés.

Je répète : l'orgueil est un défaut.

C'est-à-dire la "solution de continuité entre deux choses. Intervalle entre la cuirasse et les autres pièces voisines de l'armure; p. métaph., endroit non protégé, point faible d'une personne, d'un système de pensées."

Et lorsqu'on prend un défaut pour une force... comme Solomon... on n'est pas prêt de le corriger.
D'où les cachets à vie.

3 commentaires:

  1. Excellent Lucia!
    Je crois que vous m'avez donné l'envie de ne pas toucher à ce livre et de me limiter aux extraits lus sur le net et qui m'ont fait déjà assez de mal comme çà...
    Les médocs à vie ? Pfff quelle honte... Quel pauvre type... Enfin j'espère ne pas avoir à prendre son chemin... A titre d'info pour vous et d'autres lecteurs j'ai arrêté les drogues légales depuis 15 jours, pour ne rien vous cacher j'en bave et les souffrances sont + importantes que lorsque je les prenais mais, ne serait ce que pour ne pas suivre son "destin" à lui, je ne toucherai plus à ces trucs !! Je choisis un autre chemin que le votre M. Solomon !
    La dépression rythme encore sa vie, il est je crois devenu un porte parole dans les hopitaux psychiatriques, il vit de son mal-être à travers son job et son bouquin grâce aux malheureux qui l'écoutent et le lisent, c'est pathétique, à croire qu'il va dans les HP pour enfoncer leurs patients !!...
    Il est aussi je crois toujours en contact régulier avec des "dépressifs" à travers de multiples courriers et autres, aucun doute comme il le dit avec certitude qu'il vivra avec sa dépression à vie... Et il s'étonnerait presque d'être toujours dépressif !!
    Il parle d'ailleurs il me semble de rémission et non de guérison donc il s'attend + ou - à rechuter...
    J'ai lu un extrait du Diable Intérieur où il se plaint que sa dépression envahit constamment ses pensées et ses discussions avec les autres mais comment en pourrait-il être autrement ?? Il a écrit un pavé sur sa dépression, il a fait des années de recherche alors qu'il était toujours sous traitement donc toujours "dépressif", la dépression est son job, elle est SA vie, tout le monde est au courant qu'il est un grand dépressif et il s'étonne que cette chose pollue ses pensées et ses conversations, n'y a t-il comme un sacré paradoxe ici ??
    Hâte de lire vos avis suivants chère Lucia mais attention n'adhérez pas à ses idées, soyez + fortes qu'au moment où j'ai lu ces quelques extraits dévastateurs !!
    Je ne demanderai pas Le Diable Intérieur au Père Noël !!
    Plutôt Carnegie ou Canfield je pense... ;-)

    Julien

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  2. Bonjour Lucia,
    Je vous avais déjà expliqué il me semble que de nombreuses lectures sur doctissimo et autres m'avaient fait sombrer et je me demande si justement celles-ci ne sont pas plutôt une cause "imagée" et que c'est plutôt le fond qui est à l'origine de mon mal être actuel, bien évidemment ces lectures ne m'ont pas fait de bien et m'ont enfoncé mais je crois que si tout allait si bien chez moi à cette période là je ne serai pas allé lire ce que je suis allé lire... Avec le recul je me rends en tout cas compte qu'il est malheureusement certain que mon adhésion à des phrases types "la dépression n'est pas une question de volonté" m'a littéralement fait couler...
    C'est "con à dire" mais j'attache une réelle importance à votre avis... sûrement le fait que vous en soyez sortie...
    Dernière chose: pensez-vous que le narcissisme soit une qualité ?
    J'ai toujours cru que çà en était une et que c'était un trait de caractère qui pouvait protéger du malheur et nous faire sortir de situations délicates mais je me demande si trait de personnalité que j'ai n'est pas entrain de me causer du tord et m'empêche d'avancer (au même titre que l'orgueil d'ailleurs)...
    J'espère pouvoir lire votre avis sur ces 2 points...
    Merci d'avance.

    Julien

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  3. Pourquoi vous dites que cet auteur n'a rien compris à ce qui lui est arrivé ?
    So

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