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04 septembre 2006

Apprivoiser son ombre ?

C'est un conseil que nombre de thérapeutes et de livres donnent aux personnes qui souffrent psychologiquement : apprivoisez votre ombre...

Je cite un de ces livres (attention, style moyennement compréhensible) :

"La réintégration de l'ombre est essentielle au développement d'une solide estime de soi. En effet, les pulsions de l'ombre qui auraient été laissé pour compte et n'aurait pas été apprivoisées viendront constamment consumer l'énergie du soi et en miner l'estime. Pour pouvoir harmoniser la persona et l'ombre, il est nécessaire de changer de registre, c'est-à-dire de recourir non pas aux efforts volontaires de l'ego mais à la force intégrative du Soi."

Pour comprendre ce que signifie ce conseil un peu nébuleux, et s'il est valable, il faut déjà décrypter ce terme mystérieux d'ombre. Selon la définition psychologique qu'on en donne généralement, l'ombre c'est tout ce que nous avons refoulé parce qu'on le juge inacceptable : bizzarerie, hostilité, esprit de délinquance, paresse, penchant pour les transgressions, etc.

Je cite encore le même livre :

"La peur d'être rejetée par son milieu fait que, jusqu'à la trentaine, une personne remplit son sac à déchets de tous ces matériaux. Au mitan de la vie, au moment où elle aura atteint davantage de maturité et sera devenue plus sûre d'elle-même, il sera temps pour elle de se mettre à vider le sac à déchets et à recycler tout le riche potentiel qu'elle y aura enfoui."

L'ombre (ou le sac à déchets) serait donc à reconnaître, apprivoiser, recycler, intégrer, réintégrer... bref il serait bon de se réconcilier avec elle. Grâce à cette réconciliation, on trouverait paix, lucidité et estime de soi.

Ce qui est résumé ici en quelques lignes, est une théorie abondamment développée chez de nombreux auteurs. Une citation l'illustre : "La fleur, c'est le fumier qui a été aimé" (Placide Gaboury). Ce qu'on pourrait exprimer encore d'une autre manière : aimez la merde, et elle se changera en or.

Cette théorie présente une failles logique assez large (très large même) que dissimule l'emploi de mots à demi compréhensibles combinés en phrases harmonieuses.

Voici la faille : comment peut-on recycler ou apprivoiser une tendance à la paresse, autrement qu'en restant au lit sans rien faire ? Autrement dit, comment les pulsions destructrices, asociales ou je-m'en-foutistes de l'ombre peuvent être recyclées dans autre chose que des comportements destructeurs, asociaux ou je-m'en-foutistes ?
Prenons une comparaison : j'ai une tonne de papier sale à recycler. Je peux le recycler en papier recyclé, en carton recyclé... et... c'est à peu près tout. Je ne peux pas recycler ma tonne de papier en bouteilles de verre, ni en sac en plastique. Après recyclage, le papier reste du papier (ou quelque chose de très similaire).

Réexaminons dans un esprit critique la phrase de Placide Gaboury : "une fleur, c'est du fumier qu'on a aimé".

Est-ce que c'est littéralement vrai ?

Suffit-il de prendre un gros tas de fumier bien puant et de lui faire des bisous en lui disant "je t'aime", pour voir une fleur s'y épanouir ?...

Ou est-ce qu'il faut aussi et surtout une graine ?

D'autre part, est-ce que l'aggressivité, la paresse, la délinquance... sont un terreau fertile pour les fleurs ? Autrement dit, est-ce que l'estime de soi et la paix intérieure se nourrissent de la haine, du laisser-aller... de ce genre de fumier ?

En fait, ce conseil (apprivoisez votre ombre) est en contradiction totale avec le plus élémentaire bon sens. C'est d'ailleurs pour cette raison même qu'il parait valable : le paradoxe présente souvent quelque chose de séduisant et de neuf qui donne envie d'y croire. Et puis, ce serait tellement pratique s'il suffisait d'aimer son mauvais côté pour trouver paix et bonheur...

Indiscutablement, chaque être humain est suivi partout par son ombre (un paquet de mauvais penchants et de tendances destructrices et auto-destructrices). Est-ce que cette ombre est à refouler et bannir ou à intégrer et aimer ?... Les psys répondent : "à aimer".

Aimez la merde, elle se changera en or.

Mais si l'on se remet dans l'état d'esprit qu'on avait à sept ans - à cet âge, on n'aimait pas encore les paradoxes sophistiqués, on était encore en contact avec son bon sens naturel, inné - on ne sera pas d'accord.

La merde reste de la merde, qu'on l'aime ou non. On trouve l'or dans le quartz, pas dans la cuvette des chiottes.

Chaque être humain a deux doubles, l'un lumineux et l'autre sombre : un ange et une ombre. L'ange conseille le courage, la patience, la recherche, les efforts... l'ombre conseille de piquer une colère, insulter ceux qu'on aime, sauter par la fenêtre du troisième étage. Chaque être humain est libre d'écouter l'un ou l'autre, de suivre les conseils de l'un ou de l'autre. Et selon les jours, selon les heures, c'est l'un ou l'autre qu'on prend pour guide.

Le "riche potentiel" de l'ombre est un riche potentiel de destruction, de catastrophes et de problèmes. Apprivoiser son ombre revient à apprivoiser un serpent venimeux : non seulement ce n'est pas possible, mais la seule chose qui en résulte est qu'on se fait mordre.

Dans la même veine de pensée, un auteur a essayé de trouver une "solution" à la fable de la chèvre de Monsieur Seguin (la chèvre de Monsieur Seguin était attachée à un piquet, elle s'en est libérée, a gambadé librement et au matin, le loup l'a mangé. Le piquet qui restreignait sa liberté la protégeait aussi.)

Dans la nouvelle version que cet auteur a proposé de la fable, la chèvre passe beaucoup de temps à contempler des photos de loup, jusqu'à se sentir emplie d'amour pour ce carnassier. Elle s'échappe comme dans la version originale, mais lorsque le loup arrive, au lieu de le fuir elle lui fait une déclaration d'amour. Le loup est ému, touché... et c'est le début d'une belle histoire. Ils vécurent heureux et eurent beaucoup de... euh ?... d'hybrides bizarres.

Cette histoire revisitée exemplifie à merveille l'idéologie soutendue par le conseil d'apprivoiser son ombre : il suffirait d'aimer le mal (en soi ou autour de soi) pour qu'il se change en bien.

Aimez votre inertie, elle se changera en activité.
Aimez votre colère, elle se changera en douceur.
Aimez Staline, il deviendra l'abbé Pierre.
Aimez Attila, il deviendra la Vierge Marie.

L'amour est certes un prodigieux médicament qui guérit de beaucoup de maux, mais le mal existe en tant que tel, et en tant que choix. Les trafiquants de drogue ou d'arme choisissent de faire ce qu'ils font. Qu'on les aime ou qu'on ne les aime pas ne va rien changer à leur choix... ou plutôt, qu'on les aime va les confirmer dans leur choix, s'ils avaient un doute.

Dans les les rêves et les théories, tout est possible - même l'improbable métamorphose d'un carnassier en herbivore ou d'une pulsion de mort en paix intérieure. Mais dans la réalité, les loups n'épousent pas les chèvres, ils les mangent.

3 commentaires:

  1. L'interprétation de l'ombre n'est pas bien aiguisée de ton point de vue. Moi j'ai bien compris cette notion et elle m'as aidée mm si elle n'as pas suffit au moins depuis, j'ai repris une certaine confiance en moi. Pour exemple, la colère, on ne dit pas que s'est bien de se ruer sauvagement sur quelqu'un et que c'est une bonne chose, on dit de ne pas culpabiliser d'avoir pensé à agir ainsi, c'est là qu'on accepte, à cet endroit, à celui où on reconnait au lieu de nier cette part de nous mm négative. Si tu n'as pas vu les choses sous cet angle, il est possible que ce soit parce que tu n'as jamais nié cette part de toi, peut-être que tu as pas été enfant confrontée à loa pensée qu'il faut tendre la joie gauche quand on te frappe à la droite. Moi si, et longtemps, inconsciemment, j'ai nié tout ce qui étais cette partie de moi : colère (inacceptable), pensées critiques sur les autres, fantasmes inavouables (sales) et cie. Mais du jour où j'ai compris que l'accepter , ne pas le nier sans pour autant l'utiliser, me rendait à moi-même et me permettais en prime de mieux l'accepter chez les autres, ma vie, mm si encore remplie de pleins de questionnement, s'est au moins apaisée sur ce point et m'as aidée à mieux m'entourer aussi (de gens qui s'acceptent comme ils sont entre autres ;-)).

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  2. Je ne suis pas d'accord. Absolument pas.
    C'est sans doute mon côté matérialiste qui veut ça, auquel cas je suis dans le faux. ;)

    Mais je pars du principe que tout ce qui existe a une fonction et une utilité. Y compris la paresse, la colère, etc. qui, dans le sens où tu les exposes sont plutôt des symptômes qu'autre chose. Des signaux qui nous disent, à nous ou à notre entourage : y'a un truc qui cloche.

    C'est d'ailleurs pour ça qu'il faut les regarder de plus près, pour regarder ce qu'il y a derrière.

    Pour moi, apprivoiser sa part d'ombre, c'est ça : trouver la vérité que l'ombre cache.

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  3. C'est intéressant, car je viens de lire ce livre, qui m'a beaucoup inspiré. L'auteur insiste sur le fait qu'il ne faut pas confondre l'"ombre" (au sens de Jung) avec le "mal". A en lire cet article, j'ai l'impression qu'on n'a pas lu le même livre. Selon moi, c'est un livre pour contribuer à mieux s'accepter comme on est et les autres comme ils sont. Pour ce qui est de la comparaison avec la chèvre et le loup, je ne retrouve rien du livre. Nulle part il n'y est dit qu'il faut aimer ceux qui nous souhaitent du mal. Quant à l'opposition bien/mal, ange/démon, je n'ai rien vu de tout ça dans le livre non plus.

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