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02 août 2006

Ceux qui poussent les autres vers la mort (tout en restant à l'abri)

On lit parfois les témoignages de personnes désespérées, qui se sentent coupables d'avoir poussé un de leurs proches au suicide. Elles-mêmes suicidaires, elles n'ont pas su protéger leur entourage contre l'influence délétère de leur mal-être. Ces personnes-là sont peut-être coupables, mais ce n'est certainement pas moi qui vais les juger. Que quelqu'un de complètement perdu égare ceux qui le suivent n'est que logique, rien de plus.

Mais il y a d'autres personnes, ayant un tout autre profil, et qui elles savent très bien ce qu'elles font. Celles-là ne sont pas dépressives, ni angoissées, ni désespérées - au contraire, elles adorent la vie - et c'est de manière tout à fait délibérée et consciente qu'elles poussent les autres vers la mort, soit parce que c'est leur intérêt, soit parce que ça les amuse, tout simplement.

En d'autres temps, on appelait ces gens-là des "méchants", sans que le mot paraisse enfantin ou dérisoire. Aujourd'hui, on les appelerait des "salauds", si le relativisme culturel n'avait pas estompé les notions de bien et de mal. (Tout est question de point de vue, tout est subjectif, bla, bla, bla...)

Pendant la première guerre, les journalistes et propagandistes qui encourageaient vivement les gens à aller tuer et se faire tuer tout en restant tranquillement à l'arrière faisaient parti de cette catégorie-là.
C'est une catégorie où il y a beaucoup de monde, parce qu'il y a de nombreuses manières différentes de pousser les autres vers la mort, et aussi parce qu'il est plus facile - et à un certain niveau, plus rentable - d'être un salaud que le contraire.

Les publicistes qui célèbrent sur des millions d'affiches les vertus rafraichissantes et désaltérantes de telle boisson alcoolisée en période de canicule savent très bien que leur travail de créatif est responsable d'accidents mortels sur les routes et de vies bousillées par l'alcool. Ils continuent quand même, parce que ça leur rapporte de l'argent et qu'ils n'ont pas assez de conscience pour que ça les dérange.

Mais il y a d'autres façons, plus cachées et subtiles, de pousser les gens à se tuer.

On peut par exemple chanter "On ira tous au Paradis..." (parce que si c'est vrai, pourquoi ne pas y aller tout de suite ?) ou développer dans des ouvrages de "Spiritualité" des idées très séduisantes sur l'Inconnu et Le courage : la joie de vivre dangereusement. (livre qui existe réellement, et dont l'auteur est un soi-disant "grand sage").
Le fait même d'associer les mots joie, vivre et courage à dangereusement constitue une incitation subtile à adopter des comportements dangereux pour soi - autrement dit, à se tuer accidentellement ou volontairement. Le contenu du livre va dans le même sens.

Carlos Castaneda, l'anthropologue mythomane, excelle particulièrement dans ce genre d'incitation intelligente et retorse. Tous ses livres sont des apologies brillantes du Grand Inconnu, et de son exploration.
Il a d'ailleurs su convaincre deux jeunes femmes de se suicider, pour l'accompagner dans la mort... (il était atteint d'une maladie mortelle et se savait condamné.) Si elles n'avaient pas adhéré à ses idées et cru à ses beaux discours, elles seraient encore en vie, elles seraient peut-être heureuses aujourd'hui.

On peut dire que tous ces gens, qui sont parfois très célèbres et très bien considérés, plantent de jolies fleurs parfumées au bord d'un gouffre vertigineux, mortel, puis incitent les passants à se pencher vers elles pour en apprécier le parfum.
Ceux qui tombent ne risquent pas de leur faire un procès, et ceux qui ne tombent pas les remercient sans voir le gouffre.

On a tous, en soi, une petite voix maléfique qui se fait l'appui de tous les discours séducteurs et trompeurs que l'on peut entendre autour de soi.
Chaque être humain héberge, qu'il le veuille ou non, une instance qui aime gâcher et détruire. C'est cette voix qui présente le suicide comme un acte courageux, une manière de prouver sa liberté, etc. Elle ne nous veut que du mal, exactement comme les fournisseurs d'alcool et de drogue ne nous veulent que du mal : notre déchéance est leur gagne-pain.

Mais heureusement, on a aussi tous l'instance contraire, celle qui parle du vrai courage, qui consiste à prendre le chemin difficile, celui qui monte, de la vraie liberté, celle qui est une responsabilité, et de la possibilité de changer pour le mieux, au prix d'une réflexion personnelle exigeantes, de recherches, de lectures et d'efforts quotidiens.

En résumé, il y a des gens qui vivent de la mort des autres - un peu comme les tiques et les autres animaux sympathiques de ce genre.
Ils vendent des armes, de la drogue, de l'alcool, des idées qui sont pareilles à des couteaux sans manche (on ne peut s'en saisir sans se blesser soi-même), et eux-mêmes ne se battent pas, ne se droguent pas, ne boivent pas, et ne croient pas à ce qu'ils racontent.

Ils appellent les gens au bord du gouffre, leur expliquent que s'ils y croient très fort et qu'ils sautent, ils vont s'envoler, puis quand tout le monde est mort, rentrent tranquillement chez eux par le chemin le plus sûr pour recommencer le lendemain avec d'autres...

Un peu comme le joueur de flûte de Hammelin, qui par les sons mélodieux de sa flute entraîna les rats jusqu'à la rivière où ils se noyèrent tous jusqu'au dernier - puis entraîna les enfants du village vers un sort comparable :

"Et le petit homme partit, jouant de sa flûte d'abord très fort, puis ses doigts si agiles émirent des sons très doux. Et on vit très vite des têtes d'enfants regarder aux fenêtres. Puis un gamin sortit de chez lui, et contempla avec enthousiasme l'homme qui jouait si bien. Vint un deuxième, puis un autre et tous le regardaient envoûtés. Celui-ci jouait toujours; sa musique devenait plus douce et plus captivante et leur faisait imaginer des pays merveilleux où ils n'auraient qu'à s'amuser sans jamais être grondés.
Et ainsi cette bande d'enfants devenait de plus en plus nombreuse. Tous étaient heureux, riaient, chantaient et se tenaient par la main tout en suivant de plus en plus vite le joueur de flûte. Les parents se mirent à la poursuite leurs enfants qui s'en allaient à l'aventure, ensorcelés par le petit homme."N'allez pas avec lui, revenez avec nous, par pitié." criaient les parents, désespérés et cherchant à les rattraper. Mais ils se fatiguèrent bien vite et les perdirent de vue. Pendant ce temps le joueur de flûte suivis des enfants qui chantaient à tue-tête, arrivèrent à la montagne située derrière la ville, Ils étaient si heureux que personne n'aurait jamais pu les faire changer de route. Au son de la flûte la montagne s'entrouvit et tous, le joueur de flûte en tête, passèrent l'un après l'autre à travers la porte qui se referma aussitôt."

Même si ce découpage binaire paraît aujourd'hui grossier, manichéen, et complètement archaïque, l'humanité continue à se partager en deux groupes : les bons et les méchants. Et ceux qui ignorent que le deuxième groupe existe l'ignore à leur dépend, car leur ingénuité en font des proies faciles pour les rapaces en tous genres.

Depuis la nuit des temps, il y a eu des joueurs de flûte pour entraîner ceux qui les suivent, fascinés, à leur perte.

Certains réalisateurs de films, certains chanteurs, certains auteurs... sont des joueurs de flute tout aussi experts que celui de Hammelin. Lorsqu'on veut vivre, réussir sa vie, être utile, il vaut mieux ne pas les écouter.

3 commentaires:

  1. Ha ça! Je ne laisserai pas dire du mal du joueur de flute de Hammelin!
    S'il a réagi ainsi, c'est à cause de la cupidité des parents qui ont refusé de le payer après avoir convenu qu'il les débarrasserait des innombrables rats qui leur pourrissaient l'existence et dont ils ne parvenaient pas à se débarrasser. Le jouer de flute d'Hammelin est une sorte d'Ange Vengeur venu rappeler à tous ceux qui manquent à leur parole pour la plus basse des raisons: la cupidité, que le crime, car c'en est un, ne reste pas toujours impuni, en tous cas qu'il ne faut pas toujours attendre le jour du Jugement Dernier pour rendre compte de ses actes. Ceci dit, on objectera qu'il ne s'agit que d'une légende. Vraiment?

    Il me vient à l'esprit que Mme Canovi aurait peut être quelque chose contre l'instrument lui-même, qui, dans un certain contexte, au sein d'une certaine culture, est extrêmement mal vu, du fait qu'il symbolise l'égarement dans lequel on (lui, là, l'autre) veut à tout prix entraîner les membres de la communauté de ceux-qui- marchent-debout.

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  2. Parce qu'il y en a qui marchent assis ?...

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  3. Ha, mais non, c'est une référence à Rahan, vous savez, madame Canovi, la BD de Chéret. C'est l'expression qui désigne les (pas toujours) dignes représentants de la race humaine. Je sais, on a les références qu'on peut. Quant à savoir s'il y en a qui marcheraient assis, allez donc savoir!

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