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07 novembre 2009

"Les logiques de la dépression" de Daniel Widlöcher

Un titre prometteur - un livre considéré comme une référence, un classique...

Alors je l'ai emprunté et lu pour vous. Non, j'avoue : je n'ai lu encore que les premières pages. Mais elles m'ont donné envie de les commenter.

Widlöcher est professeur et consultant de psychiatrie. Il écrit plutôt bien, et d'une manière claire.

Dans les premières pages, il pose le problème qui le préoccupe d'une façon convaincante :

"Patients et médecins situent trop souvent sur le même plan le problème de la cause et celui du mécanisme. Dire : "Cet homme est déprimé parce qu'il existe une anomalie chimique qui modifie le fonctionnement de certaines structures cérébrales" et dire "il est déprimé parce qu'il a perdu son emploi" ne constituent pas des explications concurrentes." (p.13)

Jusque-là, je suis complètement d'accord.
Ce ne sont pas des explications concurrentes parce qu'elles sont compatibles, et qu'on peut très bien les articuler l'une à l'autre.

Voici comment :

1/ Cet homme a perdu son emploi
2/ Du coup, il rumine des idées noires (je suis trop vieux, trop nul, je ne retrouverai pas de travail, je vais me retrouver à la rue, etc.)
3/ Cette rumination a des répercussion sur la chimie de son cerveau :
elle modifie le fonctionnement de certaines structures cérébrales.

Comme de juste, la cause primordiale se situe AVANT le mécanisme.

Mais voilà que dès la page 14, Widlöcher, au lieu d'articuler comme je viens de le faire cause et mécanisme, en arrive je ne sais comment à une idée toute différente, une idée très bizarre et déconcertante :

"Nous nous trouvons devant deux ordres de phénomènes mutuellement dépendant mais qui obéissent pourtant à des règles de nature tout à fait différente. Nous sommes alors contraints, pour comprendre la dépression, de recourir à deux systèmes d'analyse qui relèvent de deux logiques différentes."

Mais qu'est-ce qu'il raconte ?

Mutuellement dépendant, de nature tout à fait différente ?

C'est fumeux, c'est brumeux, c'est très très mystérieux.

Ce que veut dire Widlöcher - et là j'essaie de respecter sa pensée au plus près - c'est que l'explication par le chômage et l'explication par le déséquilibre chimique appartiennent à des logiques différentes, des logiques qui ne communiquent pas.

"La diversité des théories explicatives de la dépression [...] tient au fait que, pour pour approcher le phénomène [...] nous nous référons à des niveaux d'analyse différents." (p.15)

D'où le titre du livre : LeS logiqueS de la dépression

Mais il y a un problème.

Un énorme problème (et nous ne sommes qu'à la page 15!)

Car... et j'espère que vous en conviendrez... Au sens littéral, il n'y a qu'une logique. Une seule. Pas deux, pas trois, pas mille.

Et en parlant de logique, j'aimerais faire un mini rappel.

Soit A et B sont compatibles (autrement dit, peuvent être vrais en même temps), soit A et B sont incompatibles (ne peuvent pas être vrais en même temps). Il n'y a pas d'autre possibilité que ces deux-là.

Par exemple si "Le cheval est un mammifère" est vrai, alors "le cheval est un poisson" est faux, mais entre deux énoncés tels que "le cheval est un mammifère" et "ma tante s'appelle Gertrude" il n'y a pas d'incompatibilité.

Si vous prenez deux énoncés et que vous le comparez, vous arriverez toujours à la conclusion qu'ils sont soit compatibles (ils peuvent être vrais en même temps) soit incompatibles ou contradictoires (ils ne peuvent pas être vrais en même temps).

Et c'est précisément sur ce point tout à fait fondamental et basique de la logique que Widlöcher déraille, ce qui est un comble pour un auteur qui a mis "logique" dans son titre !

En effet, d'après Widlöcher, l'explication de la dépression par le chômage et l'explication de la dépression par le déséquilibre chimique ne sont pas contradictoires, mais ne sont pas vraies non plus en même temps dans la même réalité!

Sous un emballage tout lisse et tout joli, Widlöcher nous demande de croire qu'on peut donner deux explications ni compatibles ni contradictoires au même phénomène.

Autrement dit, il demande à son lecteur de ne pas être logique...

Voilà pour les premières pages.

Il y a un autre passage (à la page 74) qui vaut d'être commenté.

Le voici :

"Le patient pourrait nous dire : "Je suis déprimé parce que je vis douloureusement avec le souvenir de ma mère disparue." La connexion logique est indiscutable, elle est une évidence..."

Je fais ici une coupure dans la citation. Après avoir lu ces lignes, on se dit : "bien sûr que c'est logique ! le patient est déprimé parce que sa mère est morte, quoi de plus naturel ?" mais vous allez voir que ce n'est absolument pas ce que veut dire l'auteur, puisqu'il continue ainsi :

"La connexion logique est indiscutable, elle est une évidence : elle ne propose pas un lien de causalité, mais énonce une relation d'implication entre un ensemble de sentiments (le deuil) et une classe plus vaste (la dépression). La dépression contient la douleur liée à la perte. Celle-ci fait partie de la dépression. En ce sens, le déprimé ne nous apprend rien"

Personnellement, ça ne me donne pas envie de consulter.

Le patient dit : "Je suis déprimé parce que ma mère est morte"

Et qu'est-ce que le psychiatre entend ?

Il entend qu'il n'y pas de lien de causalité ! Pour lui, ce n'est pas la mort de la mère qui explique la dépression, mais la dépression qui explique le sentiment de deuil. Autrement dit, le déprimé peut bien raconter n'importe quoi, de toute façon il ne sera pas cru.

Et voilà comment "le déprimé ne nous apprend rien"...

Voilà, c'était quelques considérations en vrac sur Logiques de la dépression, que je ne vous conseille pas, à moins que vous ne vouliez vous casser la tête sur des sophismes subtils. Ce livre est peut-être le moins logique de tous les livres dont le titre comporte le mot "logiques" - mais il est vrai que "logiques" au pluriel, c'est toujours mauvais signe.

2 commentaires:

  1. Vous parlez souvent d'idées et de croyances dans vos posts, qu'est ce qu'une idée et une croyance pour vous ? Je ne comprends pas trop..

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  2. Moi je me retrouve bien dans le système : perte d'emploi = idées noires = répercussion sur le cerveau.

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