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20 juin 2009

Régularisation

Déprimés ou non, les adultes qui bénéficient d’une certaine consistance affective ne cherchent pas chez les spécialistes une confirmation de leur ressenti parce qu’ils n’en ont pas besoin. Ils savent que ce qu’ils ressentent est légitime et justifié… puisqu’ils le ressentent.

Mais beaucoup de gens manquent de cette confiance en eux-mêmes.

A la petite enfance, leurs signaux de détresse, de colère, de peur et de souffrance ont été démenti par leurs parents. Quand ils se faisaient mal au genoux, on niait leur douleur en leur disant « Tu n’as pas mal » ; quand ils pleuraient pour qu’on les prenne, pour qu’on les porte, pour qu’on les câline, on falsifiait le sens de leur appel en disant : « Ne sois pas capricieux » - ou pire, en ne leur disant rien. (« Il fait ses poumons, laisse-le crier. ») Bref : leurs émotions les plus fortes n’ont jamais été corroborées par une figure parentale ; elles n’ont jamais trouvé d’écho fidèle et compatissant qui les accrédite.

Et maintenant qu’ils sont grands, la situation reste plus ou moins la même. Personne ne confirme leur vécu intérieur, qui ne rencontre qu'incompréhension, négationnisme, minimisation et scepticisme : « Tu n'as aucune raison de te sentir comme ça... » « Ce n'est pas logique... » « Tu ne devrais pas te sentir mal... » « Ce n'est pas normal... » « Tu as tout pour être heureux/se… » « Je ne te comprends pas... » « Essaie d’aller mieux : il suffit de le vouloir… » « Bouge-toi donc, tu ne vas pas être malade toute ta vie… » « On a la vie qu’on veut bien se donner… » « Ce n'est qu'un petit coup de blues, rien qu'un petit cafard… » « ça n'a pas de sens, il n'y a pas de raison… »

On pourrait en déduire que le pire est d’être nié dans ce qu’on vit, mais ce n’est pas tout à fait vrai. Le pire est de se renier soi-même. Voir sa réalité affective incomprise et méconnue par les autres est douloureux, certes, mais n’est pas aussi douloureux que de rejeter sa propre expérience comme incorrecte, inexistante ou insignifiante.

C’est pourtant ce qui se passe. En effet, lorsque les figures d’autorité (papa-maman) ne nous ont pas validé dans nos émotions petit, nous n’arrivons pas à nous valider nous-mêmes adulte. Notre vécu n’ayant jamais été confirmé par d’autres à l’époque où il était vital qu’il le soit, il reste illégal à nos propres yeux : nous ne parvenons pas à l’accréditer, nous ne réussissons pas l’authentifier. Comme nos parents jadis, nous continuons à nier notre souffrance, nous continuons à prétendre qu’elle n’est pas là, qu’elle n’a pas lieu d’être, ou qu’elle est dérisoire, qu’elle ne compte pas.

Concrètement, cela donne des gens qui souffrent en pensant qu’ils n’ont pas le droit de souffrir, des gens qui se demandent si le désespoir qu’ils ressentent n’est pas un « caprice », des gens qui sont si peu attentifs à leurs besoins affectifs qu’ils ne cherchent même pas à les satisfaire.

Lorsqu’on (dis)fonctionne ainsi, on cherche une figure d’autorité qui puisse faire le travail que n’a pas fait papa-maman, le travail qu’on n’arrive pas à faire soi-même. Pour quelqu’un qui ne se fie pas à ce qu’il ressent, quelqu’un n’a pas la force de se croire, quelqu’un qui a toujours fait passer le point de vue des autres avant le sien et qui n’est pas bien sûr d’avoir le droit de vivre et de souffrir, être confirmé dans sa réalité propre et sa vérité émotionnelle est un désir ardent, une soif brûlante.

Or le psychiatre est une figure d’autorité, et son diagnostic n’est-il pas une espèce d’homologation ?... Une souffrance diagnostiquée est une souffrance régularisée : elle a le droit d’être, puisqu’on lui donne un nom, un nom officiel.
Témoignage :
« Certes je souffre de mes maux et de ma vie, mais j'ai été contente quand on m'a dit que j'étais schizo-affective parce que ça me donnait une justification à mes souffrances. Quand on me l'a dit, je n'ai pas été blessée, mais contente, oui contente."

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