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12 juin 2009

Perdre la face

Les personnes déprimées qui consultent un psychiatre pour se faire soigner ont rarement conscience qu’elles y risquent leur visage. Pas leur visage physique, certes ; leur visage intérieur, c’est-à-dire l’image qu’elles se font de leur visage. Mais perdre la seconde n’est pas moins grave que perdre le premier.

Avez-vous déjà réfléchi au sens de l’expression perdre la face ?

Au sens figuré, elle signifie : « perdre son honneur, sa dignité ; être humilié, se trouver dans une situation où son ignorance et sa faiblesse sont exposées. » Au sens littéral : « perdre son visage ». Les deux sens sont étroitement liés, car l’humiliation déshumanise. Notre visage est le siège et le symbole de notre dignité – et de notre humanité. Seuls les êtres humains ont des visages ; les animaux n’ont que des museaux, des mufles, des groins, etc. C’est peut-être pour cela que lorsqu’on veut priver un être humain de sa dignité et de ses droits, on lui met un sac sur la tête, comme les prisonniers de Guantanamo furent bien placés - c’est-à-dire très mal - pour le savoir.

Etre envisagé et dévisagé comme un cas, une pathologie, peut faire perdre la face, dans tous les sens que peut recevoir cette expression.

Au lieu de visage, on se retrouve donc avec une purée de chair… ou un masque.

C’est ce qui est arrivé à un de mes correspondants (qui a traversé quinze ans d’analyse) : « Cette laideur due à la disparition de l'âme se reflète sur mon visage. Avant, la beauté qui me visitait se reflétait sur mon visage : j'étais beau par la beauté de mes émotions… Maintenant, ce visage que j'aimais regarder est devenu laid, horrible, un masque de laideur qui me fait mal, qui me fait honte. J’ai l'impression de porter un masque, sans cesse, et que mon vrai visage est dessous. »

En 1965, Judi Chamberlin, jeune américaine de 21 ans déprimée par une fausse couche, fut internée contre son gré à l’hôpital de New York. Privée de contact avec ses proches, droguée aux neuroleptiques, elle se mit à croire et à voir que son visage se défaisait, que les os de son visage s’effondraient. Ces hallucinations étaient pleines de sens : « j’étais déshumanisée, raconte-t-elle. Perdre mon visage était une représentation de ce qui était en train de m’arriver. »

J’ai un petit souvenir qui va aussi dans ce sens. Peu de temps après mon passage à l’hôpital psychiatrique, j’ai crayonné plusieurs dessin. L’un d’eux représentait un masque qu’un crochet arrachait, révélant un désordre de sang. C’était ce que je ressentais : que mon visage cessait d’être souple et vivant pour devenir pareil à un masque rigide et fragile, un masque qui était tout près de tomber, de glisser.

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