Recevez gratuitement les 20 premières pages du TRESOR + LA LETTRE BLEUE


 

10 juin 2009

La chasse au symptôme

Homme ou femme, le psychiatre est un chasseur.
Dans l’abondance de mots que son patient énonce, il traque d’une oreille affûtée le gibier qui l’intéresse – attentif comme l’est un chasseur quand, tapi dans un fourré, il guette la silhouette caractéristique d’un col-vert dans la végétation touffue qui l’environne. Les circonstances de nos souffrances, le contexte, les explications… lui importent moins que sa proie.
Ce qu’il traque, c’est un symptôme.
Pas un symptôme orphelin errant tout seul, ça n’aurait aucun intérêt, mais un symptôme rattaché à une maladie mentale répertoriée, un symptôme du DSM-IV. Et dès qu’il en trouve un, les mâchoires d’acier de son diagnostic se referment sur lui pour ne plus le lâcher : le symptôme ne lui échappera pas. Cette étincelle fugitive qui brille dans l’œil de votre psychiatre, c’est la joie du chasseur qui saisit sa proie palpitante. Il vient d’attraper un symptôme et triomphe secrètement ; il ne rentrera pas bredouille.
Et dans la peau du symptôme ? Qu’est-ce qu’on ressent ?...
Vous le savez peut-être déjà par expérience : rien de bien agréable.
J’imagine qu’Ota Benga, le pygmée congolais qui était exposé en 1906 dans le zoo de Bronx à côté d’un orang-outan en tant que « chaînon intermédiaire » entre l’Homme et le singe, a vécu quelque chose de similaire : pris pour ce qu’il n’était pas, sa parole n’était écoutée et son apparence scrutée que dans la mesure où elles confirmaient un savoir qui se fichait pas mal de lui.
Vous trouvez cette comparaison exagérée ?
J’admets qu’elle l’est un peu.
Bien sûr, comme vous je préfère être enfermée dans un cabinet de psychiatre, ou même dans un hôpital psychiatrique, que dans un zoo. Mais voyez le point commun : dans les deux cas, la science (ou la pseudo science) examine un être humain non pour l’aider, ni même pour le comprendre, mais pour tirer de lui une preuve de plus, un argument de plus. Ce n’est pas la théorie qui sert l’homme, c’est l’homme - qui n’est plus considéré comme tel mais comme malade mental ou homme-singe - qui est mis bon gré mal gré au service de la théorie.
Lorsqu’on consulte un psychiatre, on s’imagine généralement qu’il est là pour nous aider, que la psychiatrie toute entière est là pour nous aider. Lorsqu’on a consulté un psychiatre, ou plusieurs psychiatres, on réalise parfois que c’est l’inverse, que c’est nous qui sommes là pour nourrir la psychiatrie, pour fournir à ses dogmes des cas conformes à ses attentes, des exemples de chair et de sang.

1 commentaire:

  1. Lucia,encore une fois un grand merci pour ton formidable blog.
    Au plaisir de te lire le plus souvent possible.
    Cordialement,
    Corab

    RépondreSupprimer