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18 octobre 2007

NORMOSE

Qui est atteint de normose ?...

Les gens qui sont profondément convaincus d’être normaux et de le rester quoiqu’il arrive ne sont pas atteints ; les gens qui sont profondément convaincus d’être définitivement hors normes ne sont pas atteints non plus ; par contre, tous les gens qui veulent être normaux, qui font des efforts pour être normaux, qui s’angoissent à l’idée de ne pas être normaux, qui insistent pour qu’on les rassure en leur disant qu’ils sont normaux… souffrent de normose.

Cette maladie, ils l’ont attrapé dans leur famille ou dans un groupe. Peut-être qu’on s’est moqué d’eux quand ils étaient petits ; peut-être qu’on leur a dit d’un ton méprisant : « t’es pas normal, mon pauvre !… » Toujours est-il que maintenant, ils souffrent de normose.

Mais est-ce vraiment une maladie, m’objecterez-vous peut-être ?...

Oui, car en se prosternant devant la norme-idole, ils renoncent en tremblant à leur individualité propre, à leur personnalité, à leur vérité. Ils sacrifient sur l’autel d’une divinité bidon (la norme) leur propre force, leur propre caractère.

Chaque être humain est unique, dit-on souvent ; et parfois, cette phrase ne ressemble qu’à un cliché vide de sens… surtout quand on voit défiler dans la rues des clones d’imitations de chanteurs formatés, aseptisés, portant tous les mêmes jeans, les mêmes pantalons affaissés, la même dégaine artificiellement farouche. Et pourtant, c’est vrai : chaque être humain est unique, et ses empreintes digitales ne sont semblables à aucunes autres. Mais cette individualité, la majorité des gens cherchent à la gommer : on préfère être « comme tout le monde » qu’être soi-même. Le problème, c’est que tout le monde n’existe pas, tout le monde n’est qu’un concept… alors on renonce à la réalité, à sa réalité, à soi-même, pour un pauvre rêve, une hallucination collective dénuée de toute valeur : normose…

Si encore l’être humain était destiné à cela ! Si c’était sa vraie nature, de n’être rien qu’une ombre tremblante cherchant à s’effacer parmi d’autres ombres tout aussi insignifiantes… mais non, pas du tout. L’être humain a tant de richesses, tant de forces dont il peut faire usage s’il le décide ; il est capable d’escalader des Everest visibles et invisibles, d’ouvrir de nouveaux chemins dans des jungles encore sauvages, de bâtir des civilisations dans des déserts métaphysiques et physiques où il n’y avait rien avant lui… Alors pourquoi renie-t-il sa vraie nature pour se rabaisser au niveau de l’ovin timide et grégaire, du petit mouton qui fait « bêêêê » ? Mystère. Normose…

Peut-être que l’explication ultime de cette maladie avilissante se niche dans les ambiguïtés du mot normal.

Car ce mot-là est une boîte à double-fond, un véritable piège à rats.

D’un côté, normal signifie « naturel, sain, équilibré, raisonnable, bien ». D’un autre, normal signifie « dans la norme, comme tout le monde, sans signe distinctif particulier, ordinaire, commun, courant ».

Autrement dit, le mot normal est l’équivalent d’une phrase : « ce que tout le monde pense, dit ou fait est naturel et raisonnable. » Dogme implicite et dictatorial sournoisement caché derrière un mot apparemment simple, transparent…

Dès qu’on apprend à parler français, on apprend donc que se distinguer, se différencier des autres, penser, parler ou agir autrement qu’ils ne le font, c’est sortir de la saine nature, dévier.

Pourtant, à une certaine époque, tout le monde croyait que la terre était plate ; en d’autres temps, tout le monde pensait que les souris naissaient du blé par génération spontanée ; en d’autres temps encore, tout le monde considérait Staline comme le bienfaiteur de l’humanité… Mais ces prises de conscience tardives qui ont lieu en cours d’Histoire ne suffisent pas à déconditionner l’esprit précocement modelé par l’apprentissage de sa langue maternelle. Et c’est ainsi qu’on attrape la normose tout petit, au détour d’un mot, et qu’ensuite on garde le virus…

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