Recevez gratuitement les 20 premières pages du TRESOR + LA LETTRE BLEUE


 

28 janvier 2011

Jalousie rétrospective [ou comment se rendre très malheureux quand on n'a aucune bonne raison de l'être]

Ce post promet d'être assez long ; lisez-le même si vous n'êtes pas directement concerné par le sujet, je pense que vous en tirerez quelque chose.

Parmi les innombrables causes de désespoir avancées par ceux qui pensent au suicide, certaines sont plausibles et d'autres moins.

Certaines sont même si absurdes qu'on peut avoir un doute : la cause avancée est-elle la vraie cause, ou juste un prétexte ?

Peut-être que l'envie de mourir était là depuis le départ, et que la personne l'a rationalisé en lui trouvant une "cause". Mais en disant cela je ne fais que déplacer le problème - nous verrons tout à l'heure comment l'expliquer.

Prenons l'exemple de la jalousie rétrospective.

La jalousie rétrospective consiste à se pourrir la vie en s'obsédant sur le passé de l'être aimé. Marcel Proust (qui était très doué pour se gâcher la vie) a bien évoqué les affres de ce type de jalousie, qui le dévorait lui-même : l'obsession de savoir ce que l'Autre a fait avant, cette espèce de curiosité masochiste et morbide qui cherche avidement tous les détails pour en tirer un maximum de souffrances.

Bien sûr, le jaloux rétrospectif n'est pas le seul à souffrir : son conjoint souffre aussi d'être mis sur le grill de questions insidieuses et d'être cuisiné au feu d'une jalousie qu'il n'a aucun moyen d'éteindre. Et si le jaloux rétrospectif s'obstine assez longtemps, il finira par faire fuir celle qu'il aime.

Voici un petit aperçu sur l'enfer que vit un jaloux rétrospectif :

J'ai decouvert il y a quelque mois le passé de celle qui est ma femme adorée...  Penser que des sales types (trois hommes mariés promettant plus ou moins le divorce ou faisant croire qu'ils étaient divorcés) se sont tapés ma femme quand elle avait 18-22ans et sont heureux de leur sort actuellement, ça me rend malade. C'est le passé et on ne peut rien changer, c'est pour ca que c'est horrible, parce que même si j'avais une baguette magique je ne pourrais RIEN changer. Je me sens nul parce que des tas de gens se sont tapés ma femme et moi je ne me suis pas tapé la leur. Je suis donc plus nul que tout ces types qui se sont tapés ma femme. Je ne suis donc RIEN, je ne vaux rien. Et ce n'est pas une idée, c'est un fait, ils ont eu le droit de coucher avec ma femme et moi je ne peux rien contre ça, ils ne sont ni punissable du mal qu'ils m'ont fait, mais en plus ça doit être pour eux un titre de gloire. (Sur le blog d'un d'entre eux il précise qu'il aime la vie, ça se comprend, se taper ma femme qui etait ravissante a 18 ans alors qu'il en avait 34 etait marié et avait des gosses, youpi!) En plus je vis dans la hantise qu'elle m'ait caché quelque chose de pire encore. Je ne me suicide pas encore mais je ne pense qu'à ça. 

Pour celui qui (dé)raisonne ainsi, ça ne paraît pas du délire, ni même un point de vue, mais bien "un fait", comme il le dit lui-même.

Face à un raisonnement de ce genre, il y a deux approches démystifiantes possibles, et je vous recommande d'adopter les deux vis-à-vis de vos propres raisonnements tordus (nous ruminons tous des raisonnements tordus qui nous font du mal de temps en temps) :

1/ La première approche consister à mettre le raisonnement à plat et à l'examiner sous un angle vraiment rationnel. Ce qui permet de prendre conscience qu'on a du pouvoir sur sa souffrance : on l'a créée, on peut aussi la faire disparaître.

2/ La deuxième approche consiste à chercher la fonction cachée du raisonnement, son but sous-jacent - car il se peut qu'il en ait un...

Commençons.

1/ La jalousie rétrospective repose sur une confusion entre le passé et le présent. Non, les hommes qui ont couché avec Albertine (je prends un prénom au hasard) n'ont pas couché avec la femme du jaloux. A l'époque, Albertine n'était pas mariée à lui. Elle ne le connaissait même pas. Albertine elle-même était une autre Albertine ; elle avait une personnalité, des centres d'intérêt, une façon de penser... différentes de celles qu'elle a aujourd'hui.

Ces types ne se sont PAS tapés la femme du jaloux.
Ils se sont tapés une autre femme, une femme qui n'était à l'époque engagée à personne et qui ne devait de compte à personne.

Dire "ils se sont tapés ma femme" alors qu'à l'époque, elle n'était pas mariée, c'est comme dire "il a couché avec une morte" à propos d'un homme dont la femme est morte. Quand il couchait avec elle, elle n'était pas morte : il n'a donc pas couché avec un cadavre. Ou c'est comme accuser un homme de pédophilie sous le prétexte qu'il a couché avec une femme qui, vingt ans plus tôt, avait cinq ans.

Autre grosse erreur de logique : si un de ces types qui, jadis, a couché avec Albertine, dit aujourd'hui sur son blog qu'il aime la vie, ça n'a strictement rien à voir avec ce qu'il a vécu avec Albertine il y a dix ans.

En effet ce n'est pas notre passé qui nous rend heureux, c'est notre présent.

Personne n'est heureux et n'aime la vie parce que, dix ans auparavant, il a vécu une agréable aventure avec une jeune fille charmante ou un jeune homme très séduisant !...

C'est ce que nous vivons aujourd'hui, et surtout notre manière de penser aujourd'hui, qui nous rend heureux... ou  malheureux.

Et c'est ce que le jaloux rétrospectif n'a pas encore compris.

Il n'a pas compris que le bonheur de cet autre type n'a rien à voir avec le passé. Et il ne comprend pas non plus que son propre désespoir et ses propres idées suicidaires n'ont rien à voir avec le passé non plus.

Il croit que c'est le passé qui le rend malheureux...

Et comme (effectivement) le passé ne peut pas être changé, il ne voit aucun espoir de délivrance, de soulagement.

Mais en réalité, ce n'est pas le passé qui fait souffrir le jaloux rétrospectif.

C'est la manière dont AUJOURD'HUI il pense à ce passé, la manière dont AUJOURD'HUI il l'interprète, la manière dont AUJOURD'HUI il s'obsède sur ce passé, la manière dont AUJOURD'HUI il se raconte qu'il ne vaut rien, qu'il n'est rien, etc.

La cause de sa souffrance, ce n'est pas les quatre types qui ont couché avec Albertine il y a dix ans.

Si c'était la vraie cause, tout le monde souffrirait à cause du passé de son conjoint !...
De toute évidence, ce n'est pas le cas.

La plupart des gens se foutent royalement de ce que leur conjoint a fait avant de les rencontrer, tant qu'il leur est fidèle aujourd'hui. C'est d'ailleurs la seule attitude rationnelle.

La cause de la souffrance du jaloux, c'est la manière erronée dont il interprète le fait qu'Albertine ait couché avec quatre types il y a dix ans.

C'est son interprétation actuelle qui est la source de sa souffrance.

Sa manière de mélanger passé et présent, et de tirer des conclusions illogiques ("je suis nul") de prémisses erronées.

Mais il y aurait mille interprétations plus justes - des interprétations indolores ou même plaisantes - de ce même passé...

En voici deux :

1/ Le jaloux pourrait se dire : "C'est une chance qu'elle ait souffert avant avec des menteurs, comme ça elle apprécie vraiment mon propre engagement, le sérieux dont je fais preuve dans ma relation avec elle. Peut-être que si elle n'avait pas souffert avec ces imbéciles, il serait encore attirée par les beaux-parleurs. Son passé lui permet de mieux m'apprécier." Alors le jaloux ne serait plus jaloux.

2/ Le jaloux pourrait aussi se dire : "La pauvre, elle a souffert avec ces sales types. Heureusement pour elle, elle est finalement tombée sur moi. Je (me) promets que je ferai tout ce qu'il faut pour la rendre heureuse - je ne lui ferai pas vivre un enfer comme tous ces imbéciles." Alors le jaloux ne serait plus jaloux.

3/ Le jaloux pourrait aussi se dire : "Ma femme est une perle. Heureusement que ses ex ne se sont pas rendus compte et qu'ils l'ont quitté !... S'ils avaient été moins cons, je n'aurais jamais eu la chance de la rencontrer."

Quand on croit que c'est le passé qui nous fait souffrir, on se trompe toujours.

C'est la manière dont y pense...
C'est la manière dont on le rumine...
C'est la manière dont on l'interprète...
qui nous fait souffrir.

Le passé lui-même est mort et enterré. Il n'a aucun pouvoir.

C'est nous qui avons du pouvoir.

Nous avons le pouvoir de nous rendre très malheureux (et de rendre les autres très malheureux) en cultivant des pensées illogiques et destructrices.

Nous avons aussi le pouvoir de nous rendre heureux (et de rendre les autres très heureux) en cultivant des pensées logiques et constructives.

2/ Voyons maintenant quelle pourrait être la fonction, le but caché de ce raisonnement jaloux et délirant.

Le but peut être de se rendre très malheureux... parce qu'on est convaincu qu'on ne mérite pas d'être heureux.

Ou le but caché peut être de pousser l'autre au divorce... parce qu'on est convaincu qu'on ne mérite pas d'être en couple, qu'on n'est pas fait pour la vie de couple.

Notre image-de-soi dicte secrètement nos comportements. Quand on se "voit" comme un être nul et malheureux, on cherche des raisons de l'être, et quand on n'en trouve pas, on en invente. La jalousie rétrospective est une invention de ce genre.

Quand on se "voit" comme un "loup solitaire", on cherche des moyens de le redevenir - et le meilleur moyen connu consiste à pourrir la vie de son conjoint jusqu'à ce qu'il parte.

Si vous souffrez de jalousie rétrospective, je vous conseille de lire le roman HORACE, de George Sand. C'est je pense la meilleure étude qui existe sur la jalousie rétrospective. C'est aussi un excellent remède.

Vous le trouverez ici.

Si vous souffrez de jalousie rétrospective, je vous conseille aussi et surtout de vous poser les questions suivantes (le mieux est de les enregistrer et de les écouter en boucle, ainsi que de les recopier sur des feuilles qu'on relit le plus souvent possible), elles vous aideront à voir les choses sous un autre angle :

Pourquoi est-ce que j'ai toute confiance en Albertine [remplacez par le nom de votre conjoint] ?
Pourquoi Albertine a-t-elle toute confiance en moi ? 
Pourquoi est-ce que je suis un bon mari ?
Pourquoi est-ce qu'Albertine est une bonne épouse ? 
Pourquoi est-ce que je suis si heureux avec Albertine ? 
Pourquoi Albertine est-elle si heureuse avec moi ? 
Pourquoi sommes nous si heureux ensemble ?
Pourquoi partageons-nous tant de bons moments ?

Faites-moi confiance : ces questions peuvent changer radicalement votre vie de couple. Elles vous paraitront très artificielle au début, elles vous donneront mal à la tête et peut-être même envie de vomir, mais insistez. Persévérez. Ecoutez-les encore et encore. Quand elles rentreront dans votre mental et qu'elles y modifieront votre dialogue intérieur, elles modifieront par la même occasion toute votre vie... pour le mieux.

Et si vous pensez que vous êtes nul, que vous ne valez rien, utilisez aussi cette question :

Pourquoi est-ce que je vaux beaucoup plus que trois million d'euros ?

Elle paraît absurde, bizarre, ridicule et grotesque, je sais... mais elle est efficace. (Vous pouvez changer le chiffre, mais ne le descendez pas.)

2 commentaires:

  1. Bonjour,
    merci pour cette article,
    je souffre beaucoup de cette forme de jalousie (je ne savais même pas qu'elle portait un nom particulier) grâce a votre article je me rend compte du ridicule... je l'ai ajouté a mes favoris pour le relire souvent.
    Je pense que grâce à cet l'article je vais voir les choses sous un autre angle à présent.
    Encore merci.

    RépondreSupprimer
  2. C'est bien vrai.
    La jalousie rétrospective est un énième constat que la vie n'est pas un conte de fée. Et cela démontre le paradoxe qu'avant d'envisager à parfaire son existence, il faut d'abord admettre qu'elle est imparfaite.
    Les amoureux rétrospectifs sont aveuglés par l'illusion d'un amour parfait, donc fatalement et tristement imperfectible, bref, un amour morbide.

    RépondreSupprimer