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05 janvier 2008

Déculpabiliser : victimiser

Voici ce que dit un psychiatre de la dépression :

« Le suicide est devenu en l’espace de trente ans l’une des premières causes de mortalité chez les jeunes et chez les séniors. La dépression peut donc s’abattre sur n’importe lequel d’entre nous. La chanteuse Barbara a magnifiquement exprimé l’imprévisibilité de ce trouble : ça ne prévient pas, ça arrive, ça vient de loin, ça s’est promené de rive en rive. On ne choisit pas d’être déprimé : cela peut survenir n’importe quand, à n’importe quel âge. »[1]

Ce petit paragraphe mêle des faits indiscutables à un point de vue hyper discutable (quoiqu’aujourd’hui couramment admis) sur ces faits. Faisons le tri.

Voici d’abord la part indiscutable : il y a des jeunes déprimés, des vieux déprimés… il y a toute sorte de gens déprimés. D’autre part, on ne choisit pas d’être déprimé… pas plus qu’on ne choisit d’être alcoolique, mythomane, paranoïaque ou malheureux en ménage. Ça, se sont les faits.

Maintenant, voici la part discutable : la dépression s’abattrait de l’extérieur, pouf, tel un météorite tombé du ciel directement sur la tête : ça vient de loin, très loin, ça arrive, et boum !... Patatra… La dépression apparaît ainsi comme un équivalent de la peste ou de la grêle : un problème venant d’ailleurs et tombant brutalement sur n’importe qui, au hasard.

Si l’on accepte cette vision-là de la dépression, quelqu’un de profondément heureux et paisible, d’optimiste et de souriant, pourrait se retrouver dépressif un beau matin (ou plutôt un laid matin), sans autre raison que l’arrivée sur lui d’une dépression venue d’on ne sait où...

Le choix d’un vocabulaire extériorisant tel que abattre, venir, arriver peut paraître tout à fait anodin mais il ne l’est pas : ce vocabulaire-là est comme un doigt pointé vers l’extérieur, désignant un point indéterminé de l’espace d’où proviendrait la dépression.

La vérité c’est que l’origine de la dépression n’est pas si lointaine. Elle est au contraire toute proche : elle est ici (là, je désigne ma tête du doigt).

C’est évident, enfin ce devrait être évident, et pourtant de nos jours ça paraît presque choquant… et un chœur de protestations s’élève immédiatement pour me contredire :

« La dépression est une ma-la-die !... »

« Les dépressifs n’y sont pour rien !... »

« Arrêtez de les culpabiliser !... »

Ah, la culpabilisation… l’ennemi numéro un de notre époque. Déculpabiliser est certainement un noble objectif, mais attention – cet objectif a un prix élevé…

Car le dépressif déculpabilisé de sa dépression n’est plus qu’une innocente victime de ce mal venu d’ailleurs sans prévenir (mais pourquoi, pourquoi faut-il que ça tombe sur moi ?...) C’est un peu comme si, pour le déculpabiliser, on était obligé de le victimiser.

Je suis une ex-dépressive. Si, hypnotisée par les discours des psychiatres, je m’étais laissée convaincre que mon mal-être était une espèce de cyclone dépressif venu des Assores, ou d’autre part, je serais encore dépressive aujourd’hui… ou peut-être que je serais morte.

La dépression est un problème personnel : c’est notre propre esprit qui, nourrit d’idées fausses et malsaines, suinte de la tristesse et de l’angoisse.



[1] La dépression, une vraie maladie (article de David Gourion, médecin psychiatre, et Henri Lôo, professeur agrégé de psychiatrie).

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