Le bâton motive autant ou plus que la carotte.
D'où le raisonnement suivant, que
beaucoup de personnes se tiennent et qui peut-être ne vous est pas
étranger : « Si je me traite de minable et de crétin
chaque fois que je commets une erreur ou que je ne fais pas ce que je
dois faire, j’en prendrai de la graine ; je ne recommencerai
pas. En me punissant mentalement, je suis sûr de ne pas refaire la
même bêtise la prochaine fois. C’est la bonne méthode pour
m’améliorer ! »
C'est ainsi qu'à une époque je me
sabotais le moral lorsque je ne respectais pas le programme que je
m'étais fixé pour la journée. Je m'imaginais que ça m’aiderait
à respecter mes engagements à l’avenir : de cette manière
je serais plus sérieuse la prochaine fois...
Mais ça n'avait pas cet effet-là.
Pas du tout.
Je retombais encore et toujours dans
mes travers.
Il y a donc quelque chose qui cloche
dans ce raisonnement apparemment logique. Si, en règle générale,
la souffrance constitue un puissant motif de changement, dans
certains cas elle joue un rôle inverse en maintenant le statu quo.
Vous trouvez ça bizarre ?
C'est vrai, c'est bizarre.
Examinons ce paradoxe de plus près.
Avoir mal pour avoir raison
Pour le pire comme pour le meilleur, et
d'une manière rarement consciente, nous cherchons des preuves.
Des preuves de quoi ?
Des preuves que nos convictions sont
fondées et que nos opinions sont des faits. Nous cherchons tous à
confirmer nos croyances. Et comme nous cherchons ces preuves sans
relâche, nous les trouvons.
C'est justement là qu'il y a un hic.
Là où gît le lièvre.
Car quel genre de preuve va trouver
quelqu'un qui croit de manière plus ou moins consciente qu'il n'a
pas de chance, qu'il est voué aux accidents graves, qu'il ne mérite
pas d'être heureux mais que, par contre, il mérite un châtiment
cruel pour ses innombrables fautes ?
Nous sommes bien d'accord : des
preuves douloureuses.
Quelqu'un qui voit les choses ainsi
souffre pour se prouver qu'il est bien la pauvre petite chose ou le
triste sire qu'il croit être.
Quand je me punissais pour
mes manquements en me traitant de tous les noms, je remplissais un
programme inconscient, et celui-là, à la différence de celui que
je me fixais consciemment, je le respectais à la lettre.
L’auto-flagellation
à laquelle je me livrais participait au problème qu'elle était
censée combattre. En réalité, je ne me disais pas que
j'étais nulle pour ne plus recommencer mais l'inverse : je me
fixais un programme que je ne respectais pas pour avoir l'occasion de
me dire que j'étais nulle, et me maintenir ainsi dans mon identité
habituelle, confirmant ainsi au prix fort ma définition de moi-même.
Et si pour vous, il en allait de même ?
Et si une part de votre souffrance qui
(peut-être) assombrit votre existence tirait son origine du besoin
que vous ressentez de confirmer votre point de vue sur vous-même ?
D'apporter la preuve que vous avez raison de vous définir comme vous
vous définissez ?
Un autre exemple.
À la différence de tant de gens qui
croient avoir tout pour être heureux, alors qu'il leur manque
l'essentiel, Amandine a réellement tout pour être heureuse. Mais
quand elle se sent aussi
heureuse qu'elle devrait l'être pendant plus que deux jours, elle
trouve ou invente une broutille qui lui permet de plonger pour le
même nombre de jours dans la dépression la plus noire.
Là encore, il s'agit de rétablir
l'équilibre : son thermostat émotionnel est réglé sur un
certain degré ; si son bien-être le dépasse, le thermostat se
met en marche. Amandine croit qu'elle n'est pas censée être
heureuse tous les jours... elle ne pense pas mériter tant.
Nous cherchons tous à nous conformer à
notre image-de-soi. Nous cherchons tous à faire de notre vie un
miroir qui reflète le plus exactement possible notre identité
secrète, notre définition de nous-mêmes. Et parfois la souffrance
n'est qu'un moyen au service de cette cause.
Superstition
Hippolyte n'est pas très motivé pour
perdre du poids, quoiqu'il pèse 200 kilos. Il est persuadé que s'il
parvient à se libérer de sa graisse, il attrapera le cancer.
Vous trouvez cette supposition
bizarre ?
Il y a une logique derrière :
Hippolyte croit que dans l'existence, il n'a que fort peu de chance.
S'il devient mince, son sort deviendra enviable – il
faudra donc qu'une malchance majeure (par exemple un cancer) vienne
compenser sa nouvelle chance pour rétablir l'équilibre.
Trois sortes de perdants
Prenons un autre
exemple.
Définition
préliminaire : j'appelle « perdant » quelqu'un qui
a le sentiment (apparemment justifié par les faits) de ne jamais
réussir à atteindre les objectifs qui lui tiennent le plus à cœur.
L'identité de perdant n'est pas définitive, pas plus que celle de
gagnant : on peut très bien passer d'une catégorie à l'autre,
ou être un perdant dans un domaine et un gagnant dans un autre.
Il y a trois sortes
de perdants, et tous ne sont pas de vrais perdants :
1/Les premiers se
découragent et laissent tomber. Ils ont un objectif, et y renoncent
avant de l'avoir atteint, car ils le jugent inaccessible.
Si l'objectif est
réellement impossible à atteindre
(comme dans le cas d'objectif intrinsèquement contradictoire), le
fait d'y renoncer ne fait pas de la personne un perdant mais plutôt
quelqu'un qui prend enfin conscience de l'inconsistance de ses rêves
– et
qui donc en change.
Si l'objectif est
seulement difficile à atteindre,
le fait d'y renoncer fait de la personne un perdant – du
moins jusqu'à ce qu'elle se décide à reprendre contact avec ses
rêves.
2/ Les
seconds ne se découragent pas et persévèrent. Ils ont un
objectif et n'y renoncent pas... mais adaptent leur stratégie aux
circonstances. Ils sont souples et obstinés ;
ils finiront par atteindre leur objectif.
Ce ne sont pas de vrais perdants.
Bientôt, tout le monde s'apercevra que ce sont des gagnants.
3/ Les
troisièmes se désespèrent et s'aigrissent, mais ne laissent pas
tomber. Ils ont un objectif, s'acharnent... et ne
l'atteindront jamais. Ce sont de vrais-faux perdants.
Qu'est-ce qui rend cette dernière
catégorie spécifique ?
C'est qu'en ne réussissant pas à
atteindre leurs objectifs, ces vrais-faux perdants réussissent à
atteindre un autre objectif, celui-là caché et plus ou moins
inconscient... de cette manière, ils confirment l'une de leurs
croyances.
Quelle croyance ?
« Je suis un génie méconnu ».
Ce qui est important ici, c'est
méconnu. Il faut donc que leurs efforts ne soient pas
récompensés pour qu'ils se prouvent qu'ils sont bien ce qu'ils
sont.
C'est pour ça qu'ils insistent encore
et encore, au lieu de laisser carrément tomber comme ceux de la
première catégorie : leurs échecs répétés et retentissants
jouent un rôle dans leur vision d'eux-mêmes et du monde ; ils
en ont besoin.
À
retenir
● Se
traiter de tous les noms parce qu'on a fait une erreur n'est pas
le moyen de ne pas la refaire.
● Nous
sommes prêts à tout pour rester fidèles à notre définition de
nous-mêmes et du monde... même à nous rendre terriblement
malheureux.
Conseils
► Faites
preuve de compassion et d'un peu d'indulgence à votre égard.
► Votre
image-de-soi vous pousse-t-elle dans le mauvais sens ?
Vérifiez si, dans vos croyances, il n'y en aurait pas
quelques-unes qui vous inciteraient à souffrir.
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